25 – Satires (1/2)

En France tout, paraît-il, finit par une chanson. Pas ce blog en tout cas. Mais la chanson ne peut manquer d’y trouver sa place. Nous y sommes. #RescapesdelEspece

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        Au lycée François 1er du Havre, la classe de musique était l’une de celles qui me mobilisaient. Je m’asseyais au premier rang, avide de pénétrer ce monde fascinant. Hélas, lorsqu’il fallait identifier les notes au guide-chant le résultat était catastrophique. Moins mauvais au piano. Le pire s’est produit le jour où, à l’occasion d’un exercice vocal, le compositeur Max Pinchard, qui nous faisait cours, a laissé tomber : « Je vous en prie, Pfister, taisez-vous, vous me faites dérailler ! » Lui déraillait sans doute, j’ai décroché sûrement.

       Je me suis rabattu sur l’écoute des classiques par le biais des Jeunesses musicales de France, mais un fil était rompu. Il était naturel que ce soit Michel qui détermine le programme des variétés à suivre en salle. À défaut d’oreille, demeurait la possibilité de se concentrer sur les textes. Sans le savoir, je n’étais qu’une illustration d’un phénomène généralisé dans la culture française. Si les groupes anglo-saxons et autres qui viennent se produire dans l’Hexagone peuvent savoir, les yeux fermés, qu’ils s’y trouvent c’est parce que leur public frappe dans ses mains à contre-rythme. Une autre expression de cette infirmité se constate avec la propension du public des stades à chanter La Marseillaise en galopant devant l’orchestre. Ils ne savent pas suivre la mesure.

       Même si Celtes et Basques, par exemple, sont parvenus à préserver une part de leur identité culturelle, la norme jacobine, en faisant la chasse aux parlers régionaux, a fait disparaître leur caractère chantant. Ce que nous nommons « avoir l’accent ». Il s’agit en pratique des accents toniques et, en conséquence, de la musique de la langue.

        Ainsi amputée, la chanson s’est transformée en une forme de poésie agrémentée d’une mélodie. Sans véritable garantie d’authenticité, on prête à Victor Hugo la formule : « Défense de déposer de la musique au pied de mes vers. » Louis Aragon, à l’inverse, s’émerveillait de voir les siens pris en charge par Georges Brassens, Jean Ferrat et Léo Ferré. Les textes demeurent primordiaux.

       Seulement, le sens exact des termes utilisés hier s’est transformé avec le temps. Nous avons perdu le contexte qui permet de comprendre la portée des propos. Ce qui est vrai des témoignages historiques, ne l’est pas moins des chansons. Et pas seulement en France. Si j’en crois Stéphane Koechlin (1), fils du fondateur du magazine Rock & Folk, le terme rock, avant de désigner style musical et danse, appartenait au vocabulaire de marine. Il évoquait un tangage. Par analogie de mouvement, il est devenu synonyme de baiser, copuler. Partout le sexe rôde et impose sa loi.

        La plupart des ritournelles chantonnées depuis le jardin d’enfance sont des satires à caractère sexuel. Au premier rang se situe Pierrot qui manie sa plume au clair de la lune. Le futur Louis XIII, alors simplement Dauphin élevé au château de Saint-Germain-en-Laye avec le reste de la descendance d’Henri IV, bâtards compris, s’était lié d’amitié avec un nommé Pierrot, un paysan du cru habile à capturer les volatiles. L’un et l’autre s’intéressaient surtout, réciproquement, à leur « petit oiseau » personnel. Ils auraient pu chanter Au clair de la lune. Depuis des siècles, la jeunesse française est invitée à brandir un pénis (la plume) vers une paire de fesses (la lune). Ne vous étonnez pas si certains passent à l’acte.

           Même lorsque la plume conserve son sens premier, l’aventure peut se terminer en chanson. En janvier 1686, Louis XIV souffrit d’un abcès à l’anus provoqué, semble-t-il, par une plume d’un des coussins du carrosse royal. Il fallut attendre Noël pour pouvoir célébrer la guérison, les médecins ayant redouté d’opérer des mois durant. Ils devaient fabriquer l’outil idoine. À en croire les Souvenirs de la marquise de Créquy, texte dont la paternité comme l’authenticité sont débattues et qui relève plus des potins de salon que de l’information, madame de Brinon, nièce de madame de Maintenon et Supérieure de la Maison royale de Saint-Louis, la future école des dames de Saint-Cyr, écrivit quelques vers d’action de grâce dans la lignée de Grand Dieu sauve le Roi. Lully les mit en musique.

          Récupérée sans trop de scrupules par Haendel, réarrangée et le texte traduit, l’œuvre fut offerte par lui au roi Charles 1er d’Angleterre. D’où le propos attribué à la marquise de Créquy : « Que l’hymne des Anglais naquît d’un anus, voilà qui ne cesse de me faire rire sans toutefois un instant me surprendre. » Comme quoi lorsque, confrontés à des équipes françaises, les Britanniques entonnent leur hymne national dans les stades, nous pensons aussitôt à leur remettre une plume dans le cul.

            Personne, à l’origine, ne se leurrait sur le double sens d’Au clair de la lune. Il était aussi patent que, de nos jours, le fait d’utiliser un émoji du type aubergine, épi de maïs ou, bien sûr, banane pour ponctuer un message. Surtout s’il est associé aux rotondités de la pêche. La symbolique est identique. Ces stickers constituent pour les utilisateurs un véritable langage sexuel. « Battre le briquet » dans la cuisine se chanterait aujourd’hui « tirer un coup ».

            La tradition de ces doubles sens se prolonge de siècle en siècle. Même décodage avec « Nous n’irons plus au bois les lauriers sont coupés, la belle que voilà ira les ramasser… ». Pendant la construction du palais de Versailles, des milliers d’ouvriers d’une part, de soldats chargés de surveiller le chantier d’autre part, étaient regroupés. Et célibataires de fait. D’où l’exode des prostituées parisiennes vers Versailles. Quand Louis XIV a su que sa future demeure était un lupanar et que les bois environnants servaient à forniquer, il a fait chasser les indésirables. Comme dans les pinèdes narbonnaises autour de La Nautique. Les belles se sont repliées au plus près, dans des chambres louées en ville et, pour être identifiées, elles pendaient à leur fenêtre du laurier coupé dans les bois.

              Le sommet est atteint par « Il court, il court, le furet… », rengaine née au XVIIIe siècle, sous la Régence. Dans la vieille tradition d’alliance entre le trône et l’autel, le principal conseiller du Régent était le cardinal Dubois. Or, croyez-moi sur parole, il convient de se méfier des conseillers. C’est une curieuse engeance. « Il faut savoir cirer les pompes », comme dirait l’ancienne plume (2) (non, je ne suis pas dans la lune, le terme m’aura échappé) de Hollande. Ce cardinal-là avait commencé, encore abbé, comme précepteur de Philippe d’Orléans. Leur ascension vers le pouvoir fut commune, l’un appuyant l’autre, l’autre guidant l’un. Le premier devint « Monseigneur le Régent » en faisant casser le testament de son oncle Louis XIV, tandis que son second fut élevé au rang d’archevêque puis de cardinal – en raison de ses qualités spirituelles, n’en doutons pas, encore qu’il a fallu d’urgence lui apprendre à dire la messe – tout en tenant son rang de plus influent des ministres. La Régence fut une époque « progressiste » et « frivole » que, dans un zèle d’extrême courtisanerie, Jean-Pierre Jouyet (3), alors secrétaire général de la présidence de la République, s’est offert le ridicule de comparer au mandat de son ami et employeur… François Hollande !

       La seule similitude que je relève résulte de la propension au batifolage de Guillaume Dubois. Tout comme de son ancien élève. Tout comme de notre ancien Président, ce qui avait permis à l’Est républicain de barrer sa première page, après l’allocution de renoncement de Hollande, d’un « Merci pour ce moment » qui reprenait le titre de l’ouvrage de l’ex-compagne présidentielle Valérie Trierweiler (4). Sous la Régence, l’air du temps aidant, l’ecclésiastique se sentait des fourmis sous la soutane. Cette obsession s’exprimait même dans ses jugements sur l’art : « J’aurais préféré que la Joconde montre son cul. Quand on pense que des millions de gens ont rêvé devant son sourire, qu’est-ce que ça aurait été pour son cul ! » D’où la chanson populaire qui, à l’exemple du cardinal-conseiller, commença à courir : « Il court, il court, le furet… » Banale contrepèterie que chacun traduisait : « Il fourre, il fourre, le curé… » Un furet qui vient du bois. Dubois, disiez-vous ?


Notes :

  1. Les Secrets du rock, Librairie Vuibert, 2017. 
  2. Cf. L’Abdication, Aquilino Morelle, Grasset, 2017. 
  3. Ils ont fait la révolution sans le savoir, Albin Michel, 2016. 
  4. Op. cit.

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