127 – Principe de précaution (1/2)

Les « sachants » qui se succèdent sur nos divers écrans ne cessent de nous mettre en garde contre les perturbateurs endocriniens, le glyphosate et mille autres substances, comportements, habitudes. Cela, bien sûr, pour le plus grand bien de la planète et donc de l’humanité. Et au nom du sacro-saint « principe de précaution ». Ce n’est pas nouveau. #RescapesdelEspece

anti-électricité 1900
1900, campagne contre l’électricité.

      Parler pendant l’action, écrire sur cette action pour l’éclairer et la justifier constituent des exercices qui ne me sont pas étrangers. J’ai consacré une période de ma vie à faire parler Pierre Mauroy. Sous son contrôle et son autorité. Et sans avoir eu à subir l’affront infligé en public par Emmanuel Macron, lorsqu’il avait déclaré durant l’un de ses meetings : « Mon équipe m’a préparé un texte dont la subtilité mériterait que je le lise comme un entomologiste pour ne froisser personne. (…) Initialement je n’ai pas compris cette phrase (1). » Ce qui, au sens strict du terme, s’appelle « voler dans les plumes ».

          J’ai donné la parole à Pierre Mauroy après son décès (2), mais à partir de notes recueillies de son vivant. Je ne me permettrais jamais d’utiliser son autorité pour juger d’événements sur lesquels il n’a pas été en mesure de se prononcer. Ce qui, à l’évidence, est le cas de l’hommage que la communauté urbaine de Lille a souhaité lui rendre en donnant son nom au « grand stade » de Villeneuve d’Ascq (3). Il l’avait validé, mais en quoi cet équipement est-il représentatif de sa personnalité ou de son action ? Je me pose la question.

       Si je réfléchis à une empreinte marquante, je penserais au brio dont il a fait montre, lors de la construction du tunnel sous la Manche, en imposant contre vents et marées l’interconnexion des TGV au cœur de la capitale des Flandres. Il a fallu sa capacité, à la fois de conviction et de résistance, pour maintenir le refus catégorique qu’il avait opposé non seulement à des gares au milieu des betteraves, chères (ou plutôt à bas coût justement !) à la SNCF, mais aussi aux solutions périphériques de remplacement, type aéroport de Lesquin.

       Ces âpres débats furent l’occasion de l’entendre répéter l’une de ses anecdotes favorites. Au XIXe siècle s’était déjà posée la question du tracé des liaisons ferroviaires et de l’implantation des gares. Une partie des élus et de la population redoutait le passage de ces machines à vapeur crachant des escarbilles car elles menaçaient, disait-on, d’enflammer les champs et de détruire les récoltes. Les laisser entrer dans des agglomérations était irresponsable. Autant incendier les villes sans plus attendre.

           Plusieurs conseils municipaux mirent leur veto aux voies ferrées, ce qui explique que Tours et Orléans ne se situent pas sur les lignes principales et soient respectivement desservies par Saint-Pierre-des-Corps et par Les Aubrais. La controverse s’est déroulée, au sein du conseil municipal d’Amiens, à propos de la gare de Longueau. Un illustre personnage a siégé quinze années durant au sein de cette assemblée, où il avait été élu sous l’étiquette « républicain », ce qui le situerait dans l’équivalent de notre centre-gauche actuel. Il disposait de connaissances scientifiques supérieures à la moyenne et d’une indéniable capacité à se projeter dans l’avenir. Pourtant, il s’est opposé à l’arrivée du chemin de fer en ville. Il se nommait Jules Verne.

      Cette crainte n’était pas neuve. Adolphe Thiers avait, dès l’apparition de ce nouveau mode de locomotion, exprimé ses réserves. Jules Michelet était sur la même position, estimant que passer en vingt heures du climat parisien à celui de la Méditerranée entraînerait des dommages pour la santé. Quant au physicien François Arago, au fil de sa carrière ministérielle il s’était égaré à pronostiquer qu’en transportant les troupes par le rail on obtiendrait des soldats efféminés.

            J’observe du coin de l’oeil un débat rampant qui n’émerge pas dans les médias et concerne le programme Iter, ce qui signifie en latin le chemin. Il s’agit d’un des projets les plus ambitieux dans le domaine de l’énergie. Trente-cinq pays sont engagés dans la construction, dans les Bouches-du-Rhône, du plus grand tokamak (4) jamais conçu. Une machine qui doit démontrer que la fusion — l’énergie du Soleil et des étoiles — peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, afin de produire de l’électricité. Les résultats de ce programme scientifique doivent déterminer s’il est possible d’envisager la construction de centrales de fusion électrogènes. Inutile de préciser qu’à titre personnel je n’ai aucun avis, car aucune compétence, concernant la faisabilité d’un tel outil scientifique qui, comme il est de règle dans ce type d’aventure, accumule les retards et explose les coûts.

             Parmi les opposants, notamment écologistes, qui sont mobilisés contre Iter, j’ai relevé la présence active d’un de « mes » anciens auteurs, l’astrophysicien Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au CNRS, spécialiste des plasmas et donc, a priori, à même d’avoir sur le sujet une opinion argumentée (5). J’avais publié trois ouvrages de lui (6) concernant le dossier Ummo, du nom d’une planète non répertoriée qui se situerait à plus de quatorze années-lumières de la Terre. Ses habitants, les Ummites, auraient établis une colonie sur Terre dans les années 1950. Ils seraient entrés en contact, durant les années 1960, par des messages dactylographiés et téléphoniques dont les destinataires se situent pour l’essentiel en Espagne. En réalité, et selon ses propres aveux, ces messages étaient, à l’origine, rédigés par un technicien en télécommunications espagnol, José Luis Jordàn, aujourd’hui décédé. Des imitateurs auraient ensuite pris le relais.

           Lors d’un de ces déjeuners qui aident à nouer des liens plus personnels entre l’éditeur et les auteurs, j’avais laissé percer le motif de mon adhésion apparente à cette théorie des Ummites. J’y voyais, pour Jean-Pierre Petit, un moyen de développer et de faire admettre sa théorie des univers jumeaux (7).  Son concept est constitué par un modèle cosmologique représentant l’univers connu comme le miroir d’un « univers-ombre », communicant grâce à la gravitation. De quoi mettre en mouvement mes rêves, comme le faisait hier Ray Bradbury et comme le ferait par la suite Maurice Dantec.

       Hélas, lorsque Jean-Pierre Petit a compris que je ne voyais dans ses Ummites qu’une métaphore, un outil de vulgarisation, il s’est figé, outré. Ainsi, cet interlocuteur pour lequel il avait une certaine estime n’était qu’un béotien de plus ! Pour sa part, il croit dur comme fer à Ummo et ses livres doivent, à ses yeux, être lus au premier degré. Toujours ce décalage entre l’auteur et ses lecteurs.

            Cette forme d’aveuglement, jusqu’au sein des élites intellectuelles d’une époque, faisait les délices de Pierre Mauroy. Si le « principe de précaution », que Jacques Chirac a fait inscrire dans la Constitution et dont Benoît Hamon n’a cessé de se prévaloir, avait existé, nous irions prendre le train au milieu des champs. Ou au moins en banlieue, compte tenu du développement urbain. Et nous ne mangerions pas de frites puisqu’au milieu du XVIIIe siècle le Parlement avait interdit la culture de la pomme de terre soupçonnée de transmettre la lèpre.

      La cécité face aux progrès technologiques est une constante. Elle avait été constatée chez les « sachants » lors du premier envol de montgolfière, un exercice sans avenir avaient-ils décrété ; puis Napoléon Bonaparte en avait offert une autre illustration en jugeant sans intérêt le Nautilus, un prototype de sous-marin que Robert Fulton avait fait plonger, notamment au large du Havre ; quant à Clemenceau, face à l’automobile, il annonce que cette invention est vouée à un « oubli rapide » ; et la litanie se poursuit avec le téléphone, le moteur à pétrole, l’avion…

         Jules Verne figure au nombre de ces célébrités souvent annexées par l’univers gay. Je n’ai pas d’opinion sur le sujet qui, à franchement parler, ne me passionne pas. J’avais noté la parution d’un ouvrage (8) défendant cette thèse, signé d’un journaliste américain, Herbert R. Lottman, spécialisé dans la vie intellectuelle française. Il a consacré des biographies à nombre de nos gloires nationales, de Pétain à Camus en passant par Flaubert, Colette et même la période parisienne d’Oscar Wilde. Cette orientation sexuelle attribuée à Jules Verne avait entraîné une réplique cinglante de Jacob Didier dans L’Express (9) : « Jules aimait l’argent et manquait d’affection. Et, comme il avait des coliques, Lottman, en bon freudien, voudrait croire à l’“analité” de son patient. On objectera qu’à ce compte-là l’humanité entière se verrait soupçonnée d’être obsédée du derrière. »

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Jules Verne

Notes :

  1. 14 avril 2017.
  2. Tu ne crois pas que tu exagères ! , Albin Michel, 2016.
  3. Depuis, la municipalité de Lille a rebaptisé, en décembre 2017, la rue de Paris, qui relie le centre-ville à l’hôtel de ville, en lui donnant le nom de l’ancien Premier ministre.
  4. Un tokamak est une chambre torique de confinement magnétique destinée à l’étude des plasmas. Elle permet, en particulier, d’étudier la possibilité de production d’énergie par fusion nucléaire.
  5. Voir sa vidéo de démonstration concernant Iter sur la page https://www.facebook.com/pfisterthierry qui accompagne et illustre ce blog.
  6. Enquête sur les OVNI : voyage aux frontières de la science, Albin Michel, 1990 ; Enquête sur des extra-terrestres qui sont déjà parmi nous : le mystère des Ummites, Albin Michel, 1991 ; Le mystère des Ummites : une science venue d’une autre planète, Albin Michel, 1995.
  7. On a perdu la moitié de l’univers, Albin Michel, 1997.
  8. Jules Verne, trad. Marianne Véron, Flammarion, 1996.
  9. 18 juillet 1996.

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