128 – Respecter (2/2)

Depuis la Rome antique les jeux du cirque servent à distraire l’attention du peuple et à permettre ainsi à ceux qui gouvernent d’agir hors du contrôle citoyen. Ces jeux ont aujourd’hui un nom : le foot. #RescapesdelEspece

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Pierre Mauroy et Jacques Delors

      Peut-être qu’en ne retenant pas le volet ferroviaire des équipements portés par Mauroy, ses successeurs en mairie n’ont pas voulu le laisser à quai. Leur choix ne m’en laisse pas moins un sentiment de malaise. D’autant que, si l’opération de naming qui était envisagée pour le « grand stade », avait abouti, le patronyme de Mauroy aurait été effacé au profit d’un gros chèque, ce qui rend cette dénomination plus perturbante à mes yeux.

       Je me souviens des fréquents dégagements de Jacques Delors sur le LOSC (1), lui qui se pique de s’intéresser aux sports en général et au football en particulier. J’imagine qu’il pensait faire ainsi plaisir au Premier ministre. Ce dernier affectait de prendre en compte le propos. Sans plus. Je n’ai jamais vu Pierre Mauroy s’intéresser à ces sujets. Il gérait ce qui devait l’être, mais il ne fallait pas compter sur lui pour se précipiter dans une enceinte sportive. Tant de responsables politiques ont pris soin de s’associer au football que cette liaison imposée post mortem me trouble et m’apparaît comme un manque de respect de l’homme qu’il fut.

   Comme le relève le sociologue William Gasparini dans sa préface à Débordements (2) : « Plus qu’aucun autre objet social, le football est habillé d’un voile-écran de discours préconstruits ou d’histoires mythiques qui sont autant d’obstacles au travail intellectuel. » Faut-il ranger dans la première catégorie Jean-Claude Michéa lorsqu’il voit dans le football une préfiguration du socialisme, dès lors que « l’équipe fonctionne comme un collectif solidaire, dans lequel chacun prend plaisir à jouer en fonction des autres et pour les autres (3) » ? Il a toutefois tempéré cet hymne au football offensif par le constat que, dans ce domaine aussi, la pensée libérale et mercantile effectue des ravages. « Le football actuel est de plus en plus tourné vers la rentabilité, l’initiative individuelle, le manque d’inventivité », en a conclu, après lecture, Nicolas Rousseau (4). Le foot fout le camp et le socialisme avec selon Michéa. Qui a osé placer ce double naufrage sous l’égide de Pierre Mauroy ? Comment pourrais-je ne pas m’offusquer ?

       Depuis Le Petit Monde de don Camillo (5), au début des années 1950, l’alliance du foot et de la politique fait partie de notre culture électorale. D’un côté l’équipe du curé, de l’autre celle des Rouges, des partageux, des communistes. « Après tout, écrit François d’Estais, un terrain de football n’est pas si différent du jeu politique… Un camp à gauche. Un camp à droite. Des joueurs luttant les uns contre les autres, se taclant parfois violemment pour atteindre leur but. Une opinion publique entoure cette arène et scrute, hurle, s’émeut à chaque action (6). » Il a oublié ceux qui restent à trottiner dans le rond central, ce qui leur permet d’être à la fois dans le camp à gauche et dans le camp à droite, mais c’est plus rare.

      À l’alliance du sabre et du goupillon a succédé celle du ballon et du bulletin. Au nom de plans de communication soigneusement élaborés, Emmanuel Macron gère son image lors de ses vacances en revêtant le maillot de l’Olympique de Marseille et en participant à une confrontation contre quelques éléments de l’équipe première. Valéry Giscard d’Estaing avait lui aussi joué au football pour les caméras longtemps avant le si « moderne » Manuel Valls, mais avec la même ambition de séduire. Et il avait pris une douche, lui ! Bernard Tapie et l’Olympique de Marseille ont cheminé de concert, comme son ancien avocat, Jean-Louis Borloo, avec Valenciennes. Chaque fois, la véritable cible était la mairie. L’ancien ministre Éric Besson a tourné un moment, en 2014, autour du HAC, comme Nicolas Sarkozy semble le faire autour du PSG.

     Hollande et Valls ont affirmé, et même réaffirmé, leur passion pour ce sport. Hollande, lorsqu’il était premier secrétaire du PS, soutenait l’AS Monaco. Son adversaire n’était pas encore la finance. Valls s’affirme comme supporteur du Barça, là où Hollande l’est du Football club de Rouen, Macron de l’Olympique de Marseille et Benoît Hamon du Stade brestois. Le Républicain Luc Chatel raconte à qui veut l’entendre que, dans sa jeunesse, il jouait « milieu récupérateur ».

      La liste pourrait être allongée. Cette proximité s’explique par le souci de s’associer au sport le plus populaire et, surtout, au premier sujet de conversation de bistro, avec… la politique. Et la météo. C’est ce traditionnel mélange, cette proximité institutionnelle, que François Hollande tente une fois de plus d’exploiter pour panser la plaie laissée par son éviction de la vie politique. Il raconte que, dans sa jeunesse, son grand-père l’emmenait au stade et qu’il se rêvait joueur de foot. « Il faut être initié, analyse-t-il avec cette puissance de synthèse qui a fait sa renommée. On ne devient pas sportif simplement en regardant des matchs à la télévision. Il y a des codes, il y a des rites… On ne peut véritablement comprendre le monde que si on comprend son histoire, et le sport c’est exactement la même chose. On n’arrive pas toujours à l’ambition qui était celle de sa jeunesse… Il faut faire des compromis. On n’a pas forcément la technique qui correspond à son ambition… En revanche, servir son pays, il n’y a pas plus beau mandat… Alors ne pouvant pas devenir avant-centre de l’équipe de France, j’ai choisi d’être président de la République (7). »

     Pour les compromis, et même les compromissions, pas de doute en ce qui le concerne. Concernant une technique trop faible pour le poste occupé, il en va de même. Comment ne pas rapprocher ce propos nostalgiquement démagogique de ceux qu’il tenait comme Président et qui ont été reproduits dans l’ouvrage des deux journalistes du Monde ? En parlant des footeux comme de « gosses mal éduqués » ayant « besoin de cours de musculation du cerveau », Hollande violait les codes d’une alliance qu’il avait si longtemps exploitée et à laquelle il tente de revenir. Il manquait de respect à ses supplétifs de campagnes électorales. Plus qu’un dérapage, c’était une faute.

      En matière d’éducation, les footeux sont loin d’être les seuls à manquer au respect. « Lève ton micro, place-le devant l’objectif de la caméra. » Le photographe qui me glisse ce conseil a pris en pitié le gamin malhabile terrorisé par Léon Zitrone. Nous sommes à Orly, à l’été 1967, et la star de la télévision française s’est déplacée en personne, concession rarissime, pour accueillir le ministre soviétique des Affaires étrangères de passage à Paris. Je suis stagiaire, au titre de la bourse Francis Lauga, à Europe 1 et, Nagra à l’épaule, je tente de capter les propos ministériels. Avec une morgue peu commune, Zitrone m’ordonne de dégager, et je ne sais trop que faire.

     Heureusement que des confrères plus aguerris d’autres radios périphériques, comme elles étaient nommées, sont venus à la rescousse et ont planté leurs micros entre le ministre et la caméra, en prenant soin que le nom de leur station soit visible. Zitrone, écœuré, a lâché prise. Il est allé réquisitionner une salle. Faisant sonner son russe afin de souligner la différence entre lui et nous, il a invité le ministre, après ses premiers propos sur le sol français à destination de la valetaille des porteurs de micro, à venir l’y rejoindre pour une véritable interview entre gens sérieux. Je venais de découvrir la grossière suffisance des vedettes de la télévision. Je n’ai pu que constater sa permanence au fil des générations. Comme le disait Chateaubriand : « En ces temps difficiles, il convient d’accorder notre mépris avec parcimonie, tant nombreux sont les nécessiteux. »

         Le respect n’est pas, dans la vie sociale, la chose du monde la mieux partagée. Les ambitions concurrentes sont trop exacerbées pour qu’il parvienne à s’épanouir. Lorsqu’il avait été contraint de quitter le ministère de l’Éducation nationale, François Fillon n’avait pas caché son ressentiment à l’égard de Jacques Chirac. « Quand on fera le bilan de Chirac, on ne se souviendra de rien. Sauf de mes réformes (8) », s’était-il laissé aller à déclarer. Je redoute, pour lui, que le souvenir qui surnagera de sa carrière politique se résume à l’épisode du Penelopegate. Il aura installé un terme nouveau dans le vocabulaire pourtant riche de la langue française. Là où le bénévolat désigne un travail effectué sans rémunération, le penelopat signifiera l’inverse.

     La preuve que cet événement ne relevait pas de la péripétie électorale mais constituait l’installation, au cœur du salariat, d’un concept novateur a été apportée par l’équipe du candidat. Ceux des membres, venus des entourages d’Alain Juppé ou de Bruno Le Maire, qui avaient jeté l’éponge en raison des soupçons d’emploi fictif pesant sur la famille Fillon, ont bénéficié de ce genre d’avancée sociale. Dans l’esprit de l’ancien Premier ministre, il s’agit bien d’un mode de gestion, sans doute destiné à adoucir son image de « père la rigueur ». Ils avaient remis leur démission, abandonné la campagne mais ont continué à percevoir leur salaire. Leurs contrats à durée déterminée, les fameux CDD, avaient été calibrés pour durer jusqu’au début du mois de mai 2017. Pour s’épargner des tracasseries administratives, ils se sont vu accorder, sous couvert d’une clause de confidentialité, une dispense d’activité jusqu’à la fin de leur contrat. Le penelopat triomphait.

       Respect des règles ou respect des individus, ces notions ne vont pas de soi au sein de l’univers politique. Le florilège des formules assassines échangées à propos de tel adversaire mais surtout de tel compagnon ou camarade de parti serait sans fin. Laurent Wauquiez vient, devant un groupe d’étudiants, d’en offrir un florilège particulièrement riche (9). Des personnalités comme Charles Pasqua à droite, ou Martine Aubry à gauche, figureraient en tête du palmarès des auteurs. Pasqua étant décédé, il est plus simple de se borner à ses exploits verbaux. À propos de Michèle Alliot-Marie, par exemple, dont il disait en 2013 : « Elle ne fait rien mais elle le fait avec ténacité. » Ou, visant cette fois-ci le maire de Pau et fondateur du Modem qui s’est remis en marche dans le sillage d’Emmanuel Macron : « Bayrou est le seul homme politique à m’avoir assuré que la Sainte Vierge lui était apparue et lui avait prédit qu’il serait président de la République (10). » Ce qui est surtout cruel pour les capacités d’analyse politique de la Vierge. Elle avait déjà prouvé son incompétence en apparaissant, le 27 juillet 1830, au prince de Polignac, Premier ministre de Charles X, et en l’assurant que tout se passerait bien après l’adoption des ordonnances violant la charte de 1815. Il fallait persévérer dans cette politique, conseillait-elle. Les 27, 28 et 29 juillet, les Trois Glorieuses ont renversé le régime.


Notes :

  1. Lille Olympique Sporting club, issu en septembre 1944 de la fusion du Lille Olympique et du Sporting club de Fives.
  2. Op. cit. William Gasparini est professeur à la faculté des sciences du sport de Strasbourg.

  3. Le plus beau but était une passe, Écrits sur le football, Coll. Climats, Flammarion, 2014.

  4. Compte-rendu de l’ouvrage de Michéa in Actu philosophia, 29 mai 2014.
  5. Film franco-italien de Julien Duvivier, tiré d’un roman de Giovanni Guareschi.
  6. lecarnet politique.com, 4 juillet 2014.
  7. Franceinfo, 14 août 2017.
  8. Le Monde, 3 juin 2005.
  9. L’émission Quotidien, sur TMC, a diffusé le 16 février 2018 des propos tenus durant un cours à l’Ecole de Management de Lyon. Le président des Républicains s’en prenait à de nombreuses personnalités politiques, en particulier dans sa propre formation, en des termes critiques, voire injurieux.
  10. Les deux citations de Pasqua sont extraites de Patrice Duhamel et Jacques Santamaria, op. cit.

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