Les journalistes qui ont crucifié François Hollande paradent comme des héros. Ils se montrent aussi aveugles que le fut leur victime. #RescapesdelEspece
Puisque ses entretiens avec les deux journalistes du Monde resteront comme les clous du cercueil dans lequel il s’est lui-même enfermé, à la manière dont Matt Furie a procédé avec Pepe the Frog, essayons de comprendre. Dès le départ, Hollande s’est placé en position de faiblesse en validant des règles du jeu déséquilibrées que Le Monde a résumées (1) en écrivant : « Du 3 avril 2012 – avant son élection – au 25 juillet 2016, chaque rencontre s’est déroulée selon un protocole strict, avec des conditions acceptées dès le départ par le Président : ses conseillers ne seraient pas présents, tous les entretiens seraient enregistrés et aucun propos ne serait relu ni modifié avant publication. » Comment un personnage public peut-il accepter un tel pacte ? François Hollande a cru pouvoir prendre modèle sur Mitterrand, mais il s’est trompé de cible.
En effet, son prédécesseur socialiste à l’Élysée avait consacré de longues heures à des journalistes afin de leur confier les éléments de sa légende, soit par des entretiens enregistrés, soit par des conversations étayant des ouvrages. Certes, lui non plus n’en contrôlerait pas l’usage, mais il ne se situait pas dans la perspective d’une réélection. Il visait un temps plus long, celui du récit historique et de la manière dont il souhaitait y inscrire sa trace. Il commentait et réglait l’éclairage à sa guise sur une vie bien plus qu’une carrière. Il ne commentait pas, mois après mois, l’action en cours, ce qui réduit la perspective. Mitterrand avait choisi des interlocuteurs à même de s’inscrire dans sa démarche. Hollande a dealé avec des journalistes spécialisés dans les « affaires politico-judiciaires » qui, par formation et déformation, auraient tendance à ramener le débat dans les ornières du quotidien, à tirer vers l’anecdotique plutôt qu’à ébaucher une synthèse, à enliser l’homme politique plutôt qu’à le magnifier. Il commettait une double erreur : sur la méthode et sur les interlocuteurs.
La manière dont Fabrice Lhomme a expliqué (2) le processus d’élaboration est révélatrice : « Cent pour cent des déclarations dans ce livre sont des propos officiels, mais c’est vrai que le doute peut demeurer sur certaines de ses déclarations : savoir si c’est de la naïveté, s’il s’est emporté ou si c’est un calcul. » Et son compère Gérard Davet de renchérir : « Si on s’en tient aux petites phrases, l’effet n’est pas forcément bon pour lui. Après, quand on lit les 662 pages, on se dit que finalement François Hollande existe. Le spectre qu’on avait à l’Élysée, un peu fantomatique et aux discours compassés, enfin on le sent. »
Comme si, dans la vie politique, qui plus est en période de campagne électorale, ce n’étaient pas les « petites phrases » qui demeuraient déterminantes ! Un journaliste est-il de bonne foi lorsqu’il en minimise ainsi la portée ? Ou alors ce n’est qu’un inconscient qui manipule de la nitroglycérine sans savoir ce qu’il a entre les mains. Il faut choisir. D’ailleurs, les auteurs ont confessé avoir reçu un appel téléphonique inquiet de François Hollande lorsque les premières saillies ont commencé à fuser. Il s’étonnait de n’avoir pas réceptionné l’ouvrage. Ce contexte ne donne pas l’impression d’une immense confiance réciproque.
L’exercice auquel s’est prêté François Hollande n’en devient que plus incompréhensible. Les pseudo-justifications a posteriori d’une entourloupe de laquelle personne ne sort grandi ont fait écrire à l’avocat Gilles William Goldnadel (3) : « Le monde médiatique serait bien inspiré de penser avec humilité que la perte de crédibilité dont il souffre dans le public puise une partie de ses raisons dans l’exaspération qu’il suscite devant son sentiment de supériorité morale à l’égard des autres acteurs de la société, en ce compris les politiciens. À cet égard, il était quelque peu piquant de voir les deux journalistes auteurs d’un livre au titre assassin venir plaindre un peu tard l’homme un peu trop bavard. Lorsqu’on lit l’ouvrage qui porta l’estocade, le plus pathétique est d’y apprendre que le confident incontinent escomptait beaucoup de celui-ci. »
Lors de la réédition de l’ouvrage en format de poche (4), les auteurs ont ajouté en ouverture un chapitre complémentaire intitulé « Délits d’initiés », daté du 6 janvier 2017. Ils expliquent que François Hollande a rompu le contact avec eux et s’étonnent que, lors de la publication initiale, les commentaires se soient focalisés davantage sur la forme que sur le fond. Ils nourrissent l’illusion, et s’en vantent avec une vanité confondante, d’avoir produit une œuvre exceptionnelle dans sa conception et son contenu, d’être parvenus, écrivent-ils, à « avoir fait bouger quelques lignes ».
À part torpiller une candidature de François Hollande qui avait déjà du plomb dans l’aile, je vois mal à quelles lignes ils se réfèrent. Pareille myopie laisse pantois. Ils bénéficient, sinon de l’excuse de minorité, du moins de leur jeunesse relative et d’une forme d’innocence par rapport à la vie politique. Ce qui explique leur capacité à s’esbaudir devant des banalités énoncées par Hollande, comme par exemple le fait d’éviter la rancune face aux attaques d’hier mais de ne pas les oublier. Génération après génération, ce précepte est colporté sous des formes plus ou moins élaborées par les dirigeants politiques. Et bien d’autres en dehors de la politique.
De même, leur prétention à être parvenus à conserver leur autonomie par rapport à leur source, à un François Hollande avec lequel ils revendiquent de n’avoir pas fait copain-copain, prête à sourire. Durant les cinq années de son mandat, comme journalistes ils se sont appliqués à dézinguer ses adversaires. L’épisode du déjeuner du 24 juin 2014 (5) entre l’ancien Premier ministre, François Fillon, et le secrétaire général de la présidence de la République, Jean-Pierre Jouyet, est, à cet égard, révélateur. Fillon a été accusé d’avoir, à cette occasion, demandé à ses adversaires politiques d’actionner la justice contre Sarkozy.
Patrick Stefanini, qui a dirigé la campagne de Fillon jusqu’à sa mise en examen, détaille de manière convaincante comment l’initiative de cette rencontre émane de l’Élysée et à quel point, dans cette affaire, François Hollande apparaît à chaque instant. « Affaiblir François Fillon, c’est promouvoir Nicolas Sarkozy que François Hollande considère comme le candidat de droite idéal à la présidentielle, explique-t-il (6), non seulement parce qu’il pense qu’il est le plus facile à battre, mais aussi parce que la présence de Sarkozy dans ce combat signifierait qu’il n’y a pas d’aspiration des électeurs au renouvellement des hommes politiques à droite… pas plus qu’à gauche ! »
À l’inverse de François Fillon, je n’insinuerai pas que les deux journalistes du Monde aient pu bénéficier de fuites en provenance d’un « cabinet noir » lié à l’Élysée. En revanche, penser qu’ils n’ont jamais été manipulés relève du conte pour enfants. Savoir s’ils étaient dupes ou non ne peut être arbitré que par leur conscience. De même, ils se leurrent en imaginant que le contenu des confidences qui leur ont été livrées est essentiel. Éclairant sans nul doute, journalistes et historiens y puiseront dans l’avenir, c’est certain. Comme dans chaque témoignage de cette nature. Ils relèveront des naïvetés, dont les auteurs ne sont pas responsables mais qu’ils n’ont pas su percevoir.
Cette confession par exemple que leur confie le nouveau Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à propos de son prédécesseur. Il se serait plaint de Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée de 2007 à 2011. « Fillon n’a pas aimé certaines nominations, font-ils dire à Ayrault, et ce milieu des intermédiaires, que fréquentait Guéant, ce n’est vraiment pas sa culture. » En effet, qui irait imaginer François Fillon en relation avec les réseaux de corruption qui fonctionnent entre des dirigeants français et ceux de l’ancien empire colonial ? Comment pourrait-il nouer des liens amicaux avec un sulfureux avocat franco-libanais, tel Robert Bourgi, qui s’était vanté, en 2011, d’avoir convoyé des mallettes de billets depuis l’Afrique afin de les remettre à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin ? Qui pourrait concevoir que François Fillon se laisse offrir des costumes de luxe par ce septuagénaire féru d’intrigues dont les liquidités ont toujours été suspectes ?
En matière d’intrigues, il se vante à présent d’avoir délibérément porté le coup de grâce à la candidature de l’ancien Premier ministre. Dans un documentaire de Bruce Toussaint et Félix Seger (7), il rapporte cet échange, à propos de François Fillon, avec Nicolas Sarkozy :
Bourgi : Tu sais, Nicolas, il n’ira pas à l’Élysée.
Sarkozy : Mais comment, « il n’ira pas à l’Élysée » ?
Bourgi : J’ai décidé qu’il n’irait pas à l’Élysée. (…) Nicolas, je vais le niquer.
Robert Bourgi aurait pris cette décision en novembre 2016, par rancune et pour se venger. « Je n’ai jamais eu cette faveur suprême d’être invité dans son château », a-t-il indiqué. Un comportement de kamikaze dont l’ancien président de la République n’aurait pas tenté de le dissuader. Sur BFMTV, l’avocat, se muant soudain en modèle de vertu, trouve une motivation plus noble à son comportement. Il a expliqué : « Je le savais accro à l’argent, on ne pouvait pas laisser faire cela, parce que tôt ou tard, celui qui aurait pu diriger la France aurait eu de sérieux problèmes. » Faudrait-il, en plus, le remercier ?
Le recueil de Davet et Lhomme répond en somme aux canons du genre. Il s’agit de la chronique, ni meilleure ni pire que les équivalents, d’une période politique nourrie par les confidences d’un des acteurs majeurs. D’ordinaire, ce type de texte ne se retrouve en librairie qu’une fois l’action terminée et doit servir parfois l’Histoire, souvent la légende. En ce domaine, les auteurs ont rempli une fonction qui puise ses origines dans les chroniques médiévales de Jean Froissart, et chez Philippe de Commynes avec Louis XI. Et si Saint-Simon a tenu la chronique de la Cour sous Louis XIV, il peut en remercier son père, Claude de Saint-Simon, qui, une décennie durant, fut le page que Louis XIII aimait tourner. Cet état a permis une spectaculaire ascension sociale de la famille dans l’État.
Disons qu’en se revendiquant d’Alain Duhamel comme modèle parmi les éditorialistes, Davet et Lhomme aident à situer le niveau de leurs ambitions. Pour des « journalistes d’investigation », il s’agit sans doute d’un sommet vertigineux de l’analyse politique. Un créneau où nul ne les attendait.
Les auteurs paraissent n’avoir pas compris que, lors de la parution, le fond ne comptait pas. Seule la date de sortie était significative. Comme il est de règle dans l’édition, dans la gestion de ce titre les commerciaux se sont montrés plus lucides que les auteurs. La sortie précipitée du « poche », de manière qu’il soit en librairie avant le scrutin présidentiel, témoigne que les responsables sont sceptiques sur des ventes dans la durée, surtout après l’effacement du modèle de la scène nationale.
Davet et Lhomme ont déjà publié. Ils devraient avoir pris conscience du caractère éphémère de la présence d’un titre en librairie. La période effective de ventes ne cesse de se raccourcir au fur et à mesure que l’imprimé recule face aux supports numériques. Dans le chapitre ajouté par les auteurs, c’est autour de la date de sortie que tournent leurs échanges avec François Hollande. Ce qui prouve qu’aux yeux de Hollande également le contenu était moins important que le timing. L’aveuglement du Président sur son aura politique était tel qu’il imaginait qu’une chronique de son règne permettrait d’asseoir une nouvelle candidature.
En résumé, trois interlocuteurs aveuglés par leur vanité qui affectent des rôles qu’ils n’assument pas. François Hollande a découvert, après tant d’autres, que tout texte publié cesse d’appartenir à son auteur, même de seconde main. À l’exemple de Gislaine Marchal dans la cave de son domicile à Mougins, il peut écrire avec un sang d’encre : « Davet-Lhomme m’a tuer. » Ils pourront se défendre en plaidant le droit à l’euthanasie pour un malade plongé dans un coma profond durant près de cinq ans.
Notes :
- 27 août 2016.
- « Club de la presse » d’Europe1, 13 octobre 2016.
- Le Figaro, 5 décembre 2016.
- Points, 2017.
- Révélé par Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Sarko s’est tuer, Stock, 2014.
- Déflagration, Dans le secret d’une élection impossible, entretien avec Carole Barjon, Robert Laffont, 2017.
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C’était écrit. François Fillon : l’homme qui ne pouvait pas être président, France 5, 4 février 2018. Cf. aussi Qui a tué Fillon ? BFMTV, 29 janvier 2018.
[…] 1) Le « journalisme d’investigation ». Dans la lignée d’une mise en scène instaurée par Edwy Plenel lorsqu’il appartenait à la rédaction du « Monde », il convient de donner à penser au lecteur que ce n’est qu’au terme d’un minutieux travail d’enquête que l’élément d’information diffusé a été découvert. Chaque média rivalise dans l’autoglorification. Le phénomène s’est reproduit avec la publication d’une vidéo mettant en cause un chargé de mission de la présidence de la République, Alexandre Benalla. Or, il est apparu sans surprise, en particulier à travers les travaux des enquêtes parlementaires, que cette identification de Benalla avait été effectuée, deux mois auparavant, par les services officiels. Lorsque la bande accusatrice a été transmise à un média, la question n’était pas de savoir qui était le personnage mis en cause. Qu’importe, l’image valorisée du médiateur doit désormais prendre le pas sur la seule description des faits. En complément de : ici […]
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