Rassurez-vous, rescapés de l’espèce, pour être vraiment du système, pour baigner dedans, pour être l’une de ses constituantes, il faut posséder les codes. Tous. Or, ils sont nombreux, très nombreux, innombrables à vrai dire. #RescapesdelEspece

Nos sociétés démocratiques ouvertes à tous vents se targuent de leur transparence, affirment abattre les tabous, mais n’en perpétuent pas moins la tradition séculaire qui consiste à dissimuler les secrets de famille. Et d’abord ces petits arrangements si peu vertueux que la vie sociale abrite. On continue de se glisser sous le manteau, comme des publications pornographiques, les ragots sur les mœurs et les coucheries des uns et des autres. Pour que les langues se délient et que le bruit de couloir devienne information publique, il convient que la faucheuse soit passée. C’est si vrai que la chambre de la presse et de l’édition du tribunal de grande instance de Paris, la célèbre 17e, en a fait une sorte de règle juridique non écrite. Attendez le décès du sujet et vous pourrez dire et écrire.
Robert Sabatier est mort. C’était l’une des gloires des éditions Albin Michel et un homme charmant et pétillant. Il n’empêche qu’en 1979, lors d’un déjeuner de l’Académie Goncourt chez Drouant, pour défendre un autre auteur Albin Michel il avait usé d’un argumentaire dont la vulgarité se voulait trait d’humour mais dont les relents d’homophobie n’en sonnent pas moins à l’oreille. « Chers amis, j’ai une importante communication à vous faire, avait-il déclaré à ses pairs. Yves Navarre m’a chargé de vous dire qu’il était prêt à vous sucer et à vous enculer, à condition que vous lui donniez le prix. » Je sais qu’Yves Navarre était natif de Condom, mais cette tirade n’en demeure pas moins un exemple archétypal de la perception des gays par le reste du corps social : ils ne sont pas regardés d’abord comme des êtres humains mais se trouvent réduits à leur seule sexualité, qui plus est résumée de manière caricaturale. Dans un second temps seulement, l’humanité reprend ses droits. Ce préjugé négatif, au sens strict du terme, ne s’effacera pas plus que la manière de percevoir, au premier coup d’œil, un Noir dans nos sociétés occidentales. Ou un albinos dans l’Est africain.
Le propos de Sabatier est rapporté dans la nouvelle édition du journal de Matthieu Galey (1). Décédé en 1986, à l’aube de la cinquantaine, victime de la maladie de Charcot, celui-ci était l’illustration saisissante de la confusion des statuts au sein du petit monde littéraire. La première édition de son journal avait produit un effet de choc car il n’avait pas été dupe du « système ». Il en avait tenu, année après année, la chronique, en croquant les acteurs d’une plume parfois cruelle. Le résultat révèle les dessous peu reluisants de la vie germanopratine. Comme il siégeait au comité de lecture de sa maison d’édition, Grasset, il avait semblé naturel à celle-ci de protéger les « auteurs maison », comme par exemple Claude Mauriac. Il aura fallu attendre la version intégrale pour retrouver le potin glissé par Jules Roy à Matthieu Galey. Un jour, François Mauriac parlait à un ami quand son fils Claude approche. Il le voit et souffle à l’autre : « Attention, voilà le vieux. »
Lorsque la journaliste Geneviève Galey, comme exécutrice testamentaire, a entrepris de collationner les manques dans la version rendue publique du journal de son frère, qu’il s’agisse des pratiques sexuelles du monde gay ou de turpitudes sociales et éditoriales, elle savait sur quels terrains fangeux elle s’aventurait. L’envers du décor est loin de lui être étranger. Après être passée par Paris-Match et Le Point, elle a assumé une quinzaine d’années durant la rédaction en chef du journal de 20 heures de TF1. Elle était au premier rang pour subir les colères et les accès de violence du présentateur vedette, Patrick Poivre d’Arvor. Une autre partie de l’iceberg que les pratiques sociales maintiennent à l’abri des regards, sous la ligne de flottaison.
J’ai conscience d’évoquer, à propos du « système » et des échanges autour d’une table, un savoir-vivre périmé. Tout d’abord, le rituel du repas s’estompe. Une étude (2) a révélé que 11 % des Français mangent devant la télévision et 3 % devant un ordinateur. Plus d’un Français sur deux ne mange plus dans la salle à manger et un tiers ne mangent même plus à table. En conséquence, les repas sont de moins en moins propices à la discussion. Alors, évoquer un plan de table a autant de sens, de nos jours, que de parler du baisemain.
Une pratique dont Jacques Chirac a été le dernier à user, mais sans en connaître les codes. Allez expliquer qu’il ne se pratique pas dans un lieu public mais uniquement en privé, qu’il est réservé à la maîtresse de maison, que la main qui reçoit ne doit pas être gantée et qu’il est d’usage à l’accueil comme au départ, et vous passez pour un grand malade. On vous opposera les photos de la main gantée de la reine Elizabeth II vers laquelle un illustre visiteur incline ses lèvres. Comme si les règles valables d’un côté du Channel étaient identiques de l’autre !
Observez le positionnement des cuillères et des fourchettes. Pour les êtres civilisés, la partie bombée de la cuillère est tournée vers le haut alors que les dents de la fourchette sont vers le bas et reposent sur la nappe. Nous évitons tout symbole agressif. Les verres sont placés en biais par ordre de grandeur croissante. De droite à gauche, cela donne : vin blanc, vin rouge, eau. La flûte (ou la coupe si vous préférez laisser partir les bulles) se situe sur une seconde rangée, derrière l’alignement des verres à vin, entre le vin rouge et l’eau. Surtout, surtout n’oubliez pas que le verre à vin rouge est impérativement aligné sur le grand couteau !
La culture authentique dans son raffinement. Une composition réfléchie et millimétrée qui se retrouve à Versailles et dans les jardins « à la française », aux antipodes du bordel des « jardins anglais » et de leurs bosquets susceptibles de cacher un groupe de bonobos en action. Seuls des barbares comme les Anglais se bornent à poser les verres en ligne droite au-dessus des assiettes et, qui plus est, en intégrant la flûte à champagne dans la file. J’ajoute que ces sauvages pointent les dents des fourchettes vers le ciel et posent les cuillères sur la partie bombée. Shocking !
ROTFL. AMHA dar. IRL WTF (3). De manière plus significative que l‘analyse des us et coutumes de chaque côté de la Manche, ce nouveau vocabulaire qu’impose l’époque peut s’interpréter soit comme un choc des cultures, soit comme un changement de civilisation.
Notes :
- Journal intégral 1953-1986, préface de Jean-Luc Barré, Bouquins, 2017.
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Étude réalisée par l’institut YouGov du 13 au 16 janvier 2017 pour la société de livraison de repas Allo Resto auprès d’un échantillon de 1 002 personnes âgées de 18 ans et plus. Publiée dans Le Parisien, 7 février 2017.
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Si vous n’êtes pas familier des diverses abréviations du web, la traduction donne approximativement : Rolling On The Floor Laughing (à se rouler par terre de rire). À Mon Humble Avis c’est trop mortel. In Real Life (dans la vraie vie). What The Fuck (interjection équivalant à « putain! », « bordel! »… ).
https://15ansdemafia.wordpress.com/ pour aller plus loin dans la réflexion et découvrir des faits, accablant des personnalités. Livre témoignage d’un militaire français des services de renseignement. Période 2000/2015
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