Non, tout n’est pas gay dans la vie. Ni gai au demeurant. Venez pleurer avec moi le décès de Pepe the Frog, mort sous les coups de l’extrême droite américaine. #RescapesdelEspece
Matt Furie avait créé en 2005 cet adolescent à tête de batracien, dévoreur de pizzas, accro aux jeux vidéo, traînant avec ses potes et qui descend son pantalon sur les chevilles pour pisser, ce que la mode des vêtements moulants rend obligatoire. Un univers « trop cool ». Durant la campagne présidentielle américaine, il avait assisté, accablé, à sa récupération par les partisans les plus extrémistes de Donald Trump. Affublé d’une mèche jaunasse à la manière de leur candidat, Pepe the Frog leur servait de signe de ralliement, sur fond de bannière étoilée et agrémenté de symboles racistes et antisémites.
Avec un total manque d’imagination, l’extrême droite française a suivi le mouvement en adaptant à la dimension hexagonale les slogans de Trump et en récupérant Pepe the Frog. Il figure, par exemple, sur la page Facebook de Fdesouche. Écœuré, incapable de dégager son personnage de cette boue haineuse, Matt Furie a publié, en 2017, une nouvelle bande dessinée dans laquelle il raconte les obsèques de son personnage, représenté dans un cercueil et pleuré par ses amis.
Ainsi va la destinée des textes et des auteurs. Chacun les cuisine à sa sauce. Les adeptes twittos de cette extrême droite américaine ont au moins le mérite de reconnaître la valeur de l’écrit. En cela, ils se démarquent de leur idole, le quarante-cinquième Président, dont la culture ne se nourrit que de séries télévisées. Il l’a reconnu dans un troublant montage diffusé sur des réseaux de chaînes câblées par le présentateur David Pakman (1). L’objectif était de démontrer que Donal Trump pourrait souffrir d’une forme de dégénérescence mentale. Dans l’une des séquences, le Président américain apparaît démuni face à un texte qu’il lui est demandé de lire et se justifiant par une absence de lunettes. Terrifiant. Et glaçant.
La référence à la lecture ou à l’image n’est pas neutre. Le nombre d’informations rendues disponibles par chaque support n’est en rien équivalent. Le livre est plus riche, plus dense, permet une mémorisation plus importante et un retour vers la source plus aisé. Il en va de même pour la construction d’un imaginaire. Le lecteur est libre d’interpréter, là où le support de l’image contraint davantage. Raison de plus pour ceux qui s’expriment par voie écrite de veiller avec soin au contenu de leurs propos. Verba volant, scripta manent (2).
Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les journalistes du Monde qui ont crucifié François Hollande (3), répètent pour justifier leur démarche ce qu’affirment nombre d’intervieweurs. Ils revendiquent le final cut à la manière des producteurs d’Hollywood. À l’inverse, il me paraît légitime qu’il revienne à la personne qui a été interrogée, qui s’exprime. Elle doit pouvoir relire le texte destiné à la publication de manière à assumer pleinement ses propos. Surtout dans un contexte contemporain de médiatisation extrême et de passage des textes dans la moulinette audiovisuelle et des réseaux sociaux qui n’en respectent pas toujours la substance. User de la parole est un exercice délicat, parfois périlleux, ce ne peut devenir une forme de roulette russe. L’Est républicain me l’avait rappelé.
Note :
- Visible sur https://www.facebook.com/pfisterthierry la page Facebook qui accompagne et illustre ce blog.
- « Les paroles s’envolent, les écrits restent »
- Un Président ne devrait pas dire ça…, op. cit.