4 – Un moment gay

Avant l’élection présidentielle, de passage à Moscou, Marine Le Pen avait rencontré le député Vitali Milonov. Voilà pourquoi, amis rescapés de l’espèce, nous allons parler de La Belle et la Bête. #RescapesdelEspece

MLP

        L’homosexualité a acquis depuis un demi-siècle ses lettres de noblesse à Hollywood. Pourtant, il aura fallu attendre quatre-vingts ans avant qu’un film des studios Disney mette en scène, à l’occasion d’une simple séquence, un personnage gay. C’est à l’humoriste Josh Gad qu’est revenu l’honneur de tenir le rôle de LeFou, l’acolyte de Gaston, dans La Belle et la Bête, un remake en prises de vues réelles du dessin animé sorti en 1991. « LeFou est quelqu’un qui un jour veut être Gaston et le suivant l’embrasser, a déclaré le réalisateur Bill Condon au magazine Attitude (1). Il ne comprend pas ce qu’il veut. C’est quelqu’un qui vient juste de comprendre qu’il ressentait ces sentiments. »

              En raison de ce « moment gay », les fondamentalistes chrétiens de l’Alabama ont obtenu que le film ne soit pas diffusé dans un cinéma local de plein air. En matière de sexualité, le discours social demeure placé sous le signe du faux-semblant. L’unique nuance résulte du fait que l’accent tonique mis sur les interdits se déplace selon les périodes et les lieux. Dans cet État de la Bible Belt (2) la Parole divine et la promesse d’une récompense dans l’au-delà sont utilisées, de la manière la plus traditionnelle, pour consoler une population engluée dans la pauvreté. Les élites locales préfèrent succomber à d’autres sirènes, celles de la corruption en particulier. À chacun selon ses mérites.

                « Je vous le dis, il est plus aisé pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille, que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu» (Matthieu, 19, 24), disait il y a plus de deux mille ans un rabbi qui se prenait pour le messie, ce qui arrive à quelques Juifs siècle après siècle. Les chrétiens l’ont divinisé et en ont profité pour se soustraire aux rigueurs de la loi mosaïque. 

           Peu après l’épisode du refus de la projection du film des studios Disney, la rigueur protestante affichée en Alabama s’est trouvée confrontée aux réalités crues de la sexualité humaine. Loin des fantasmes générés par l’idée d’homosexualité, leur septuagénaire et respecté gouverneur, le républicain Robert Bentley, s’est trouvé contraint de donner sa démission. Bien que midi soit déjà passé pour lui depuis un bon moment, le démon associé à cette échéance ne l’en avait pas moins saisi sur le tard.

                   Selon un schéma qui est loin d’être réservé aux connivences françaises entre politiciens et journalistes, il avait noué une relation adultère avec sa chargée de communication. À en croire l’enregistrement qui a précipité sa perte, comme ce fut le cas pour le prince Charles et Camilla lorsqu’ils forniquaient dans le dos de Diana, la dimension sexuelle était au centre de ce couple clandestin. Toutefois, ayant utilisé les moyens de l’État et des fonds publics pour tenter de protéger son secret et sa réputation, le gouverneur se voyait menacé de destitution et de poursuites pénales. Il a préféré prendre les devants. LeFou peut chanter.

                Le Koweït s’est protégé du redoutable péril constitué par une scène dans ce film familial en l’interdisant. La Malaisie, autre pays à majorité musulmane et où l’homosexualité est illégale, ne plaisante pas sur ce sujet. Le ministère de la Santé a lancé un concours de vidéos destiné à illustrer des « pratiques de vie saine » permettant d’échapper à « la confusion des genres » et « d’éviter » l’homosexualité. Une maladie contagieuse en quelque sorte. 

              Le chef de l’opposition malaise n’a-t-il pas été emprisonné pour sodomie. En 2012, il avait été acquitté en première instance, les éléments matériels d’un dossier constitué sur mesure paraissant peu probants. Le gouvernement a fait appel et a obtenu gain de cause, en 2014… deux semaines avant d’importantes élections.

                Le conseil de la censure prévoyait de faire couper la scène contestée : selon son directeur, « la manière dont danse LeFou est… gay, de même que le dialogue et les paroles de la chanson ». «Dans la même scène, il soulève sa chemise et montre un suçon sur son ventre », ajoutait-il. Qui célébrera le zèle des fonctionnaires malais ? Disney a obtenu gain de cause en appel.

                 La seule annonce de la sortie du film a également provoqué la mobilisation du ministère russe de la Culture. Le député Vitali Milonov s’était déjà fait connaître par ses charges contre les homosexuels (3). En 2013, il a été l’artisan de la loi condamnant pénalement toute « propagande » homosexuelle devant mineurs, un texte qui a été condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans les motivations de son arrêt, la CEDH estime que le gouvernement russe « n’a pas montré en quoi la liberté d’expression sur les questions LGBT (4) aurait pour effet de dévaloriser les “familles traditionnelles“ actuelles et existantes, de leur nuire d’une autre manière ou de remettre en cause leur avenir ».

            Dans la lignée de ses précédentes initiatives, Milonov avait appelé à l’interdiction de la production des studios Disney. À l’en croire, La Belle et la Bête ferait « une propagande flagrante et éhontée du péché et des relations sexuelles perverses ». Il s’agirait d’une opération visant à imposer « les nouveaux standards de la tolérance européenne aux enfants russes pour qu’ils croient que c’est la norme ».

                    À ses yeux, ce standard européen se résume de manière simple : vivre entre homosexuels serait comme « vivre avec un chien ». Les amis des animaux apprécieront cette stigmatisation de leur compagnon. L’association renvoie au Deutéronome : « Il n’y aura pas de courtisane sacrée parmi les filles d’Israël ; il n’y aura pas de prostitué sacré parmi les fils d’Israël. Tu n’apporteras jamais dans la maison du Seigneur ton Dieu, pour une offrande votive, le gain d’une prostituée ou le salaire d’un “chien“ car, aussi bien l’un que l’autre, ils sont une abomination pour le Seigneur ton Dieu » (23, 18-19). Elle rappelle aussi l’humiliation suprême infligée aux Juifs ashkénazes durant les pogroms médiévaux : ils étaient pendus en compagnie d’un chien. Le texte biblique utilise le terme « chien » afin de désigner les hommes jugés impurs. « Dehors les chiens, les enchanteurs, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres, et quiconque aime et pratique le mensonge!» (Apocalypse 22, 15).

               La vigilance manifestée dans la défense des valeurs de la « sainte Russie » avait valu à Vitali Milonov, en septembre 2015, d’être décoré par Poutine en raison de « son activité législative et de son travail consciencieux depuis plusieurs années ». Il a également été salué par Marine Le Pen, lors de la visite à Moscou, en mars 2017, de la présidente du Front national. Une rencontre qui est intervenue un mois après une diatribe du député russe contre deux conseillers municipaux de Saint-Pétersbourg, de confession juive : «Les chrétiens ont survécu malgré le fait que les ancêtres de Boris Vichnevski et de Maksim Reznik nous ont cuits dans des chaudrons et nous ont jetés pour être déchirés par des bêtes sauvages. » Homophobie, antisémitisme, même combat. La référence au couple chien et homosexuel perd toute innocence.

             Face au dilemme posé par La Belle et la Bête, les autorités du Kremlin ont arbitré avec cette hauteur de vue et cette capacité de synthèse que nous nommons, sur les bords de la Seine, le « hollandisme ». En réponse à l’offensive du parlementaire défenseur attitré des bonnes mœurs, le film des studios Disney a été interdit aux moins de 16 ans. Pas question de laisser Hollywood venir troubler les jeunes esprits et propager des références à des formes de relations « non traditionnelles ».

               À Moscou, le puritanisme orthodoxe a remplacé le puritanisme communiste. Tout change, rien ne bouge. La réaction russe m’a rappelé l’une des histoires qui couraient en république tchèque durant le « printemps de Prague ». Au cours des premiers mois de 1968, avant l’intervention des chars du pacte de Varsovie en août, des négociations entre le réformateur Alexander Dubček, promoteur d’un « socialisme à visage humain », et le Russe Léonid Brejnev avaient été engagées. Au programme des discussions figurait la composition d’un futur gouvernement tchécoslovaque qui pourrait obtenir l’aval soviétique. Dubček propose un candidat pour le ministère de la Marine. « Mais pourquoi, interroge Brejnev : vous n’avez pas d’accès à la mer ?» Les plaisantins faisaient répondre par Dubček : « Vous avez bien un ministère de la Culture. »


Notes :

  1. Avril 2017.
  2. « Ceinture de la Bible ». Il s’agit d’une notion sociologique datant des années 1920 qui désigne les États du sud des États-Unis où s’exprime un protestantisme rigoriste et dont la géographie recoupe à peu près celle des États sécessionnistes.
  3. Il a appelé à l’instauration d’une police des mœurs à Saint-Pétersbourg et a organisé des raids contre des clubs gays. Il a demandé la fermeture de Facebook au prétexte que le réseau social diffusait des photos aux couleurs de l’arc-en-ciel, ce qui, à ses yeux, relève de la « propagande » homosexuelle.
  4. Pour Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transsexuels, soit l’ensemble des personnes non hétéronormées. Il est de bon ton d’ajouter désormais un I pour Intersexes. Ou, mieux encore, LGBT+ afin d’inclure « plus » de sensibilités, comme queer, intersexe, asexuel(le), agenre (qui ne s’identifie à aucun genre) ou pansexuel(le) (qui est attiré par tous les genres).

 

 

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