C’est une histoire de meuf. C’est aussi une histoire de mec. C’est donc une histoire de couple. Vous voici en terres familières, n’est-ce pas, rescapés de l’espèce ? #RescapesdelEspece
Marc-Olivier Fogiel a cru malin de descendre, du grenier où il séjournait depuis plus de vingt ans, « le divan » d’Henry Chapier (1) sur lequel s’étaient épanchés, parmi trois cents patients, Jean-Marie Le Pen et Ségolène Royal notamment. Il l’a réinstallé, avec un succès limité (2), sur France 3. Une spécialiste de l’exploitation de la sphère privée en politique, Ségolène, elle qui, hier, négociait l’exclusivité de ses accouchements avec Paris-Match, comme le fait aujourd’hui Emmanuel Macron avec sa cougar.
Un terme qui n’a pas d’équivalent masculin car, comme le fait remarquer Juliette Rennes, enseignante-chercheuse en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), « l’absence d’un terme reflète le fait que ce n’est pas considéré comme problématique ou comme déviant : on ne nomme pas les choses qui semblent aller de soi (3). » Le fait que Melania Trump ait vingt-trois ans de moins que son Donald de mari ne provoque, en effet, aucun étonnement. Il ne s’agit que d’une illustration du schéma patriarcal dominant depuis des siècles, celui qui voulait que la femme soit jeune et fertile pour remplir la fonction sociale qui lui était dévolue. Ce que le sociologue Eric Macé a nommé « la conjugalité reproductive (4). »
Il aura fallu attendre 2006 pour que l’âge légal du mariage soit le même pour les femmes et les hommes. Au nom de cette priorité accordée à la fonction reproductive, l’âge légal pour se marier était de 15 ans pour les filles. Il correspondait au fait qu’elles devenaient pubères. Les garçons, en revanche, devaient attendre leur majorité légale, de 18 ans. La règle s’applique désormais à tous. La loi entérinait auparavant la règle sociale validant un décalage d’âge naturel dans un sens mais choquant dans l’autre.
La liberté d’accouplements entre femmes mûres et jeunes hommes, qui étaient au siècle dernier l’apanage de ce qu’il est convenu de nommer les « bourgeois bohèmes », les fameux « bobos », se répand grâce aux facilités de contacts et de négociations offertes par les réseaux sociaux. La seule véritable innovation découle de la visibilité. La pratique est ancienne mais demeurait discrète.
Jean, le compagnon de Danielle Mitterrand pendant que François batifolait et courait la gueuse, avait douze ans de moins qu’elle. Tendre la main à un plus jeune peut constituer une forme d’ascenseur social. Cette solidarité se pratique de manière courante, indépendamment de la nature des échanges sexuels. Naguère, Édith Piaf a lancé des carrières de jeunes hommes qui avaient eu le mérite de partager sa couche. Aujourd’hui, Madonna, 58 ans, deux fois mariée et mère de quatre enfants, s’exaspère dans la bible de la mode, Harper’s Bazaar (5), qu’on lui reproche la jeunesse de ses compagnons successifs : « C’est en grande partie dû au fait que je suis une femme mais aussi parce que je refuse de mener une vie bien rangée. (…) J’ai eu des amants qui étaient de trois décennies plus jeunes que moi. Cela dérange les gens. J’ai l’impression que tout ce que je fais met les gens très mal à l’aise. »
Il est vrai que trois décennies correspondent à la différence d’âge existant entre François Mitterrand et Anne Pingeot. Qu’un homme se penche vers une jeune fille n’est pas aussi choquant, socialement, que l’inverse. Illustration du machisme ambiant. Autre manifestation de l’hypocrisie face à la sexualité. Il y a l’esprit de l’époque, la modernité affichée, le discours « libéré », bref l’apparence tandis que pèsent sur la réalité des comportements les normes patriarcales ancestrales. Elles demeurent plus prégnantes que l’air du temps.
Ultime exemple. Après avoir vécu en famille d’accueil puis dans un pensionnat catholique d’Issy-les-Moulineaux, avoir été maintes fois renvoyé de l’école, exclu de la Marine nationale suite à divers vols de matériels, avoir survécu dans le milieu des gigolos parisiens où les différences de genre et de sexe ne sont pas la préoccupation première, le jeune Alain Delon est parvenu à se faufiler dans le monde du cinéma en devenant l’amant de Michèle Cordoue, de quinze ans son aînée. La femme du réalisateur Yves Allégret a obtenu de son époux, en 1957, un rôle pour son protégé : homme de main d’un gangster vieillissant dans Quand la femme s’en mêle. Un titre qui correspondait à la situation et ne pouvait mieux convenir pour préfacer une carrière de jeune premier.
Rien de choquant au demeurant dans cette différence d’âge au sein du couple de l’ambitieux jeune Président, protégé naguère par François Hollande. Une étude effectuée auprès de onze mille femmes par le leader de la rencontre extra-conjugale, Gleeden, a montré – sans réelle surprise – que 68% d’entre elles choisissaient un amant plus jeune. Un phénomène analogue se retrouve, selon les chiffres de l’Insee, au sein des couples légitimes.
La situation d’Emmanuel Macron ne correspondait qu’à 10% des couples dans les années 1960, contre plus de 16% dans les années 2000. Il est fondé à se poser en réformateur, puisqu’il se situe parmi les précurseurs. D’où l’utilité de pouvoir faire usage de sa vie personnelle dans le débat politique. Surtout lorsqu’on manque d’ingrédients par ailleurs.
Au sein du « hollandisme », en passant de la branche aînée à la cadette, la gauche reproduisait un modèle de transmission que la monarchie avait déjà expérimenté lors de la chute des Bourbons au profit des Orléans. Avant d’accéder au trône, Louis-Philippe 1er était tombé amoureux de sa préceptrice, la comtesse de Genlis, de vingt ans son aînée et adepte de l’Émile. Il ne l’avait pas épousée et, s’il a respecté les principes selon lesquels il a été élevé, il n’a pu se consoler par lui-même puisque, pour Jean-Jacques Rousseau, si un jeune homme succombe au plaisir solitaire, s’il « connaît une fois ce dangereux supplément, il est perdu ». Un diagnostic qui sera récupéré par la médecine officielle sous la IIIe République. Au nom de la science, bien entendu.
Il convient de s’arrêter sur la nature du couple présidentiel parce qu’il est devenu, hors des frontières et en particulier en Asie, non seulement un objet de curiosité mais une source d’hilarité. Elle retentit sur l’image de la France comme les escapades du prédécesseur, sur son scooter pour retrouver sa maîtresse, avaient déclenché un fou rire international à nos dépens. La chaîne japonaise NHK, en expliquant l’élection présidentielle (6), avait évoqué le couple du candidat Macron. Le présentateur montre une photo et commente : « On va aussi vous parler de sa femme. » « C’est sa mère ? », lance une des invitées sur le plateau, provoquant les rires du public. « Ils ont vingt ans d’écart », précise l’animateur, avant de raconter le cursus de Brigitte Trogneux : « Quand il était au lycée, elle était son professeur. » La réaction de stupeur de la Japonaise interpellatrice, à moitié dressée sur son siège en poussant des « hé… hé…hé… », a fait le buzz et tourné en boucle sur les réseaux sociaux.
À Taïwan, la chaîne TomoNews, spécialisée dans les animations qui revisitent l’actualité, ne pouvait passer à côté d’un tel sujet. Elle s’était déjà inspirée de l’actualité politique française avec les frasques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn dans une chambre d’hôtel new-yorkaise. Elle avait également réalisé un clip en images de synthèse pour raconter la relation de Julie Gayet et de François Hollande et leurs retrouvailles rue du Cirque, la rue où avait déjà logé une autre actrice, Harriet Howard, la riche maîtresse d’un Louis-Napoléon Bonaparte ayant déserté les Tuileries pour venir s’installer à l’Élysée. La différence d’âge au sein du couple Macron ne pouvait laisser indifférents les réalisateurs. À l’écran, cela donne un déambulateur pour Brigitte et un berceau pour Emmanuel.
En France, Emmanuel Macron a fait plus de couvertures dans la presse people que parmi les news magazines pour lancer sa campagne présidentielle. Dix couvertures de VSD en un an, quatre de Paris Match, deux de Closer, une de Voici. Il est vrai qu’il y avait davantage matière qu’avec le précédent couple de locataires de l’Elysée. Esthétiquement parlant !
Notes :
- Le divan jaune d’origine avait été vendu et a été remplacé par un équivalent rouge.
- Cinq cent mille téléspectateurs en moyenne par émission.
- Les Inrocks, 17 juin 2017.
- Cf. L’Après-patriarcat, Seuil, 2015.
- Janvier 2017.
- 28 mars 2017.