Les fantômes existent. Je n’ai pas croisé leur route, du moins visuellement, mais je les ai entendus. Écoutez donc cette voix d’outre-tombe, amis rescapés de l’espèce ! #RescapesdelEspece
Certaines voix reviennent d’outre-tombe. À la veille d’une campagne présidentielle difficile, ô combien, pour les socialistes, qu’a-t-on vu paraître en librairie par une de ces « curieuses coïncidences » de la programmation éditoriale ? Les lettres d’amour adressées par François Mitterrand à sa maîtresse (1). Je ne vois guère de différence, si on excepte la qualité de la mise en scène, entre cette démarche et les « ambitions intimes » de Karine Le Marchand.
Ayant dénigré cette émission en s’étonnant de « la promotion de l’intime et du psychologique au détriment du discours (2) », Mazarine Pingeot a reçu, sur Twitter, une réponse immédiate de l’animatrice. Non sans cohérence, elle relevait : « Certains s’offusquent de l’“indécence“ des politiques à se livrer, et publient les lettres d’amour de leurs parents… » Formellement ce n’est pas exact puisque c’est sa mère, Anne, qui a parrainé l’opération et que seules les lettres d’une des parties ont été rendues publiques. Toutefois, cette dernière a admis (3) qu’elle répondait à une demande de l’Institut François-Mitterrand, exprimée par Jean-Noël Jeanneney, en vue de la célébration du centenaire de la naissance de l’ancien Président. Elle ajoutait : « Je ne sais pas si j’ai bien fait. »
S’imposer de manière autonome n’est pas, à l’évidence, la qualité première d’Anne Pingeot. De là à concéder qu’elle s’est laissé forcer la main, il n’y avait qu’un pas qu’elle n’a pas voulu ou osé franchir. Sa fille, en revanche, sait s’affirmer et l’a montré d’abondance. C’est elle qui a signé le bon à tirer des deux livres posthumes (4) de son père, puisque François Mitterrand l’a désignée, dans son testament, pour veiller sur les droits moraux de son œuvre, écrite ou audiovisuelle, mais aussi sur son image. Il ne relève plus du secret d’État de dire que Mazarine Pingeot est passée du statut de « fille illégitime » à celui de gestionnaire des archives et metteuse en scène de la légende. C’est à elle plus qu’à sa mère qu’incombe la responsabilité de nous avoir livré la correspondance de cet amoureux au verbe débridé, sous la jaquette d’une marque éditoriale prestigieuse.
Curieux contraste que la mise en lumière par la maîtresse soumise d’un amant qui s’est révélé des plus bourgeois. Il aurait jugé mon propos goujat et agressif. Il lui aurait fallu une référence plus aristocratique. L’héritier de la monarchie britannique par exemple, dont la vie de famille a été de même nature que celle du défunt Président français et qui, comme lui, en a fait un sujet de correspondance. Sa confidente était Nancy Reagan, l’épouse du quarantième Président américain (5).
J’ai évoqué la fougue sexuelle du prince Charles qui, marié à Lady Diana, n’en honorait pas moins Camilla, alors épouse de son ami Andrew Parker-Bowles. Selon la formule de Lady Di, il « refusait d’être le seul prince de Galles à ne pas avoir de maîtresse ». Avec des séducteurs échauffés comme François et Charles, leurs amis ont intérêt à veiller sur leurs femmes et filles. Et dire qu’il est reproché aux bonobos de se laisser parfois emporter par leur sexualité.
Comme s’il n’en allait pas de même des hétérosexuels. J’en appelle à l’arbitrage de Dominique Strauss-Kahn. Pour ce qui concerne Charles et Camilla, Diana, la « princesse des cœurs », avait eu ce commentaire ironique, lors d’une interview télévisée en 1995 : « Nous étions trois dans ce mariage (6). » Le triolisme n’est donc pas si exceptionnel. Ce n’en était pas puisque la relation à trois n’existait pas. La maîtresse cachée à côté de l’épouse officielle relèverait plutôt du vaudeville.
Chez les Mitterrand, ils étaient quatre : le couple légitime et les couples officieux. Conformément à l’opposition traditionnelle entre les deux cultures, dans l’épisode anglais le rôle du méchant est tenu par Charles alors que pour les Français le héros est François. Faut-il y voir un témoignage de notre machisme latin ? Ou est-ce parce que celui qui meurt le premier a raison ? Les deux acteurs de ces exemples avaient élaboré de leur vivant la légende de leur vie sentimentale. Ils savaient qu’en ciblant la presse du cœur et ses supplétifs de l’audiovisuel, ils triompheraient de l’Histoire. Un récit adapté est plus cohérent que la réalité. Il séduit davantage.
Notes :
- Lettres à Anne, 1962-1995, Gallimard, 2016.
- On n’est pas couché, France2, 7 janvier 2017.
- Entretien avec Jean-Noël Jeanneney sur France Culture, diffusé en cinq épisodes durant le mois d’octobre 2016.
- Mémoires interrompus, Entretiens avec Georges-Marc Benamou ; De l’Allemagne, de la France, tous deux chez Odile Jacob, 1996.
- « Un jour, je vous raconterai toute l’histoire. C’est une sorte de tragédie grecque qui ferait certainement une très bonne pièce! » lui écrivait-il le 21 juin 1992 dans une lettre manuscrite sur papier à en-tête de Highgrove House reproduite par The Mail of Sunday, 3 juin 2017.
- Et peut-être même plus s’il faut en croire l’ouvrage de Sally Bedell Smith, biographe américaine qui, après avoir débuté au New York Times, s’est épanouie au sein de la rédaction de Vanity Fair. Dans Prince Charles : the passions and paradoxes of an improbable life (Random House, 2017), elle affirme que durant cette période le prince aurait également vécu une aventure avec une jeune femme prénommée Sue Townsend, plus jeune que sa maîtresse officielle.