40 – Exorcisme (2/2)

Avoir le diable au corps. Souffrir du démon de midi. Notre langage conserve la trace satanique de ce sexe qui envoûte les rescapés de l’espèce. Et les autres également.  #RescapesdelEspece

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       Qu’en irait-il, face à des cas analogues à celui de Catherine de Sienne, dans notre XXIe siècle ? Le père Gabriele Amorth, exorciste en chef de la cité du Vatican, serait sans doute mobilisé. Il a raconté ses pratiques et les justifie : « Dès le début de mon ministère, j’ai compris qu’il existe deux catégories de possédés, et que ces catégories s’opposent. Il y a les personnes possédées du fait de leurs erreurs, et celles qui le sont du fait de leur amour pour Dieu. Je puis le confirmer en me fondant sur les Écritures et sur la tradition. (…) Nous devons apprendre à travailler avec nos collègues médecins, y compris dans le champ de la santé mentale : ils peuvent apporter à l’Église une aide significative. (…) Bien des patients se sont adressés à moi après avoir consulté un médecin. J’ai même établi un usage : on ne peut venir me voir sans un certificat attestant que l’on s’est scrupuleusement soumis à des consultations de spécialistes. En effet, une personne qui souffre doit toujours commencer par aller voir un médecin (1). »

        Pour autant, cette fonction de chasseur de démons ne fait plus l’unanimité au sein de l’Église, et don Gabriele en convenait. « C’est un ministère difficile et incompris que celui de l’exorciste, admettait-il. En ce qui me concerne, on m’aime tellement que j’en suis à ma vingt-troisième affectation… On me chasse, on me chasse, on me chasse de partout… Mais si l’on crie, c’est parce qu’on ne veut pas écouter. On m’a chassé de tous les lieux où j’ai exorcisé, ici à Rome. (…) C’est ainsi ! Les évêques, même ceux qui nomment des exorcistes, le font de mauvaise grâce, en général (2). » 

       Si l’Église catholique, en particulier avec Paul VI, a paru s’interroger sur Satan, admettant qu’il existe « des signes de l’action diabolique » mais n’étant pas certaine de savoir les identifier, le pape argentin propose un retour vers la tradition. Inaugurant, en 2013 au Vatican, une statue de l’archange saint Michel, il évoquait sa lutte contre « l’ennemi par excellence, le diable ». Face à « de véritables désordres spirituels », il a prôné, devant des prêtres en cours de formation par la pénitencerie apostolique (3), de faire appel à des exorcistes. En recommandant, il est vrai, de les choisir « avec beaucoup de soin et de prudence ». On ne dira pas que la catholicité n’a pas tiré d’enseignement de sa longue et sanglante histoire.

         Certes, il admet lui aussi la nécessité d’une « saine collaboration avec les sciences humaines » mais, propos après propos, il relève la permanence d’une présence satanique, d’un démon, du diable. La source de cette « haine spirituelle » qui serait exprimée par l’homosexualité, à en croire les experts moscovites. Et aux États-Unis aussi sévissent, parmi les partisans militants de Donald Trump, d’autres formes d’exorcistes à l’exemple du conspirationniste texan d’extrême droite Alex Jones. Créateur du site Infowars, son show est rediffusé par plus d’une centaine de radios locales à travers les États-Unis et sa chaîne Youtube compte deux millions d’abonnés. Au cours de la campagne présidentielle de 2016, il avait affirmé qu’Hillary Clinton et Barack Obama étaient possédés par des démons.

        Dans l’Aude, au sein du massif des Corbières et non loin du pic de Bugarach qui, comme nul ne l’ignore, abrite en son centre une base secrète d’Ovni sur laquelle veille le « Christ cosmique » Sylvain Durif, se dresse l’église de Rennes-le-Château. Elle a été rendue célèbre à travers l’Europe à l’aube du XXe siècle lorsque le curé du lieu, l’abbé Bérenger Saunière, aurait découvert un trésor. L’origine des fonds n’est qu’une entourloupe sur le nombre de messes encaissées mais jamais célébrées. Rien de vraiment exceptionnel dans la vie des paroisses. L’avidité de certains curés ne dépare pas celle, plus traditionnelle, des prélats.

        À Saint-Lizier, dans l’Ariège, le diocèse avait  engagé des poursuites contre l’ancien curé. En liaison avec le maire de la commune, il était accusé d’avoir détourné les dons des fidèles en subtilisant 655 188,76 euros des dons des paroissiens et 106 218 euros de la vente des bougies votives.  Les enquêteurs ont retrouvé dix-huit comptes bancaires appartenant à l’ancien curé, des contrats d’assurance-vie ainsi qu’un coffre de pièces d’or et de dollars américains. Il avait été condamné en première instance et la cour d’appel de Toulouse devait rendre son délibéré. La procureure générale avait demandé une aggravation de la peine prononcée en 2016. Avant que les magistrats ne se prononcent, l’abbé René Heuillet est décédé. 

     À Rennes-le-Château, une minable escroquerie a donné naissance à des légendes fructueuses. Tout événement est susceptible d’une exploitation idéologique, comme par exemple la sexualité animale par les darwinistes ou leurs contradicteurs. Il n’y a que Stéphane Bern pour croire qu’il traite de l’histoire de France sans aucun présupposé idéologique (4) ! Pourtant, même pour ses contrats publicitaires, pour vendre des vérandas ou vanter un site de recherches généalogiques par exemple, il a mobilisé les références monarchistes. « Et en même temps » il est trop tard pour espérer lui ouvrir sinon l’esprit du moins les yeux. Il est en marche.

       À partir de l’épisode de Rennes-le-Château, le monde de l’édition comme l’économie locale ont fait tinter leurs tiroirs-caisses grâce à la crédulité publique. C’est avec un mélange d’indignation feinte et du plaisir caché de voir lancée la saison, que les habitants du village ont constaté, au printemps 2017, que le diable de l’église avait été vandalisé une fois de plus. Une jeune femme voilée de blanc, après s’être lavé les mains avec soin, avait décapité la statue en évoquant la Syrie et en se référant aux règles coraniques (5).

       Ce diable vermillon aux yeux de verre constitue l’une des perles touristiques du lieu. Il est courbé afin de porter un bénitier sur son dos. Par sa présence, il justifie l’inscription latine qui figure au linteau du porche : « Terribilis is iste (6) ». Satan demeure parmi nous. Certains n’hésitent pas à user de la violence pour le combattre. Je redoute, si les militants les plus actifs de cette catholicité immuable parvenaient à des fonctions régaliennes, de me trouver du mauvais côté de leur univers métaphysique. Encore qu’il ne soit pas aisé de le prédéfinir.

          Au XVIIe siècle, un exorciste jésuite avait été dépêché par les autorités ecclésiales auprès de mère Jeanne des Anges, la supérieure du couvent des ursulines de Loudun. Il avait fini interné tandis que la supérieure était guérie d’une pneumonie par un saint Joseph à l’apparence d’un beau blond sexy. Les saintes catholiques avec leurs extases aux allures d’orgasmes ont de drôles de genre.

        Depuis que les hommes ont récupéré à leur profit l’image d’une divinité qui était, aux origines, symbolisée par la femme donneuse de vie, ils s’y accrochent farouchement. Plus question de vestales ni de Pythie. Les femmes sont reléguées hors du sacré et il n’est pas prévu de les laisser revenir. Même au sein des mouvements d’émancipation, qu’il s’agisse des Noirs aux États-Unis ou des gays, la place qui leur est consentie demeure secondaire. Elles doivent lutter pour parvenir à s’imposer, comme le fit Lorraine Hansberry au sein du mouvement noir américain. Ou alors elles choisissent de s’organiser en marge des garçons, comme nombre de groupes de lesbiennes.

       Car si, conformément au pronostic de Martin Luther King en 1964, d’abord accueilli de manière dubitative par Robert Kennedy avant qu’il ne s’y rallie, les États-Unis ont élu et réélu un président noir, les femmes attendent toujours. Comme en France au demeurant. Un autre destin leur est réservé. Par un de ces paradoxes historiques qui ne cessent de me réjouir, voici que les hérauts de la droite bien-pensante, Nicolas Sarkozy en tête, ont à nouveau saisi leurs instruments de mesure afin de jauger du respect des règles de la morale publique à partir de l’étalon constitué par le corps des femmes.

      Hier, ils mesuraient les maillots trop courts sur les plages ; aujourd’hui ils censurent les « burkinis » trop longs (7). Hier, les femmes n’étaient autorisées à porter le pantalon qu’à condition de tenir un cheval ou une bicyclette ; aujourd’hui, il conviendrait de célébrer une « journée de la jupe » au prétexte que le pantalon serait devenu le nouveau corset. Hier, s’embrasser sur la bouche était qualifié d’attentat à la pudeur ; aujourd’hui, les élus de la République invitent les couples qu’ils viennent d’unir à le pratiquer, y compris s’il s’agit de personnes du même sexe. Hier, les chrétiennes n’entraient dans les églises que la tête couverte et avec une voilette (8) ; aujourd’hui, les musulmanes sont invitées à délaisser leur voile. Hier, pratiquer un avortement était passible de la peine de mort et la dernière exécution pour ce motif date du régime de Pétain ; aujourd’hui, le même acte est remboursé par la Sécurité sociale.

       Ainsi sont les hommes. Puisqu’ils dominent la vie sociale, ils imposent leur vision changeante du monde aux femmes. J’y vois une illustration de ce que Patrick Buisson (9) nomme « le choix de l’impolitique, c’est-à-dire cette tendance contemporaine qui remplace la réflexion sur la Cité par un moralisme érigé en instance suprême prévalant sur le bien commun ».


Notes :

  1. Confessions, Mémoires de l’exorciste officiel du Vatican, entretiens avec Marco Tosatti, éd. Michel Lafon, 2010.
  2. Op. cit.
  3. L’un des trois tribunaux du Vatican. Allocution prononcée le 17 mars 2017.
  4. Il a cru pouvoir affirmer, durant le « C à vous » du 17 octobre 2017, en réponse aux critiques récurrentes sur l’orientation monarchiste de ses émissions : « Je mets au défi qui que ce soit de regarder Secrets d’Histoire et d’y trouver la moindre référence ou la plus petite allusion à quelque idéologie que ce soit. » Ce reproche lui avait été adressé, en 2015, par Alexis Corbière, devenu député La France insoumise, et il a été réitéré dans une tribune de Libération, le 15 octobre 2017, par le responsable d’Arrêt sur images, Daniel Schneidermann.
  5. La jeune femme a été condamnée en première instance, le 24 novembre 2017, à deux mois de prison avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve d’une durée de 24 mois avec obligation de soins et interdiction d’apparaître dans cette commune de l’Aude. Elle devra également verser à cette collectivité 17 718 euros pour le préjudice, correspondant aux travaux de réparation qui ont dû être entrepris. (mise à jour 24/11/2017)

  6. Ce lieu est terrible.
  7. Je note qu’avant d’être président des États-Unis, lorsqu’il était le propriétaire du concours de beauté Miss USA, Donald Trump avait promis de « réduire la taille des maillots de bain et d’augmenter la hauteur des talons ».
  8. Telle demeure la règle lors des audiences papales. Les femmes doivent, qui plus est, être de noir vêtues. Seules les épouses de souverains de pays où le catholicisme demeure religion d’État ont droit au blanc.
  9. La Cause du peuple, Perrin, 2016.

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