Certains, lorsqu’ils se regardent dans le miroir, pensent découvrir un futur président de la République. D’autres peinent à admettre y voir un « pédé ». Comme disait Jean Cocteau, il faudrait y réfléchir, rescapés de l’espèce. #RescapesdelEspece

Affirmer qu’une orientation sexuelle est choisie me paraît méconnaître la réalité. Elle est subie, même si l’inconscient a une part de responsabilité. En Occident, alors que les contraintes sociales sont moins rudes, elles demeurent paralysantes. Je doute que les jeunes qui se découvrent attirés par des partenaires de leur sexe trouvent libératoire cette révélation.
Le ministère de la Santé a buté sur cette réalité lors du débat concernant une éventuelle vaccination des jeunes homosexuels contre le papillomavirus masculin (HPV), dont la transmission par voie sexuelle est possible jusqu’à vingt-six ans. Cette vaccination existe en Autriche, en Australie et aux États-Unis. Elle vise, comme pour le col de l’utérus chez les femmes, à prévenir les cancers de l’anus. Pour être pleinement efficace, cette mesure de prévention doit, dans l’idéal, intervenir avant les premiers rapports sexuels. L’association de lutte contre le VIH, Aides, a alerté les autorités sanitaires. « Demander à un garçon de moins de 15-16 ans de se déterminer sur ses préférences sexuelles est compliqué, c’est pourquoi nous avions souhaité une vaccination de tous les garçons », explique-t-elle.
Dans un univers aussi protégé que l’Assemblée nationale, seuls deux députés de la quatorzième législature ont fait état de leur homosexualité. Outre Franck Riester, le député EELV Sergio Coronado s’en était étonné : « Forcément, sur 577 députés, nous sommes plus de deux homosexuels. Mais je n’ai aucun conseil à donner à mes collègues sur leur vie privée. Et, au fond, je pense que les citoyens s’en moquent. » Deux semaines après son élection, il s’était borné dans un tweet à signaler sa présence, le 30 juin 2012, à la gay pride de Paris « avec [s]on compagnon ».
Durant les débats parlementaires sur le mariage pour tous, il s’était montré particulièrement actif en séance. Ce qui n’avait pas manqué d’irriter l’opposition. D’où une mise en cause par Christian Jacob. Au troisième jour de débats (1), juste avant la pause du dîner, le président du groupe UMP s’était cru autorisé à parler, en le visant, de la tonalité « hystérique » de certaines interventions. Dès la reprise des travaux, Sergio Coronado avait demandé la parole pour rappeler que « les suffragettes », « Simone de Beauvoir », « les 343 salopes (2) » ou encore « toutes les femmes et une catégorie particulière d’hommes, les invertis » ont tour à tour été qualifiés d’« hystériques ». « Vous auriez pu être plus franc et me traiter de pédé, avait-il enchaîné en se tournant vers Christian Jacob, comme dans une cour d’école. J’assume, j’en suis fier et je n’ai pas du tout envie de raser les murs malgré vos injures. »
Même le chanteur britannique George Michael n’a effectué son coming out que contraint et forcé, après avoir été arrêté par la police californienne en train de faire le bonobo dans des toilettes publiques à Los Angeles. Il disait avoir éprouvé, dans les années 1980, les plus grandes difficultés à assumer une sexualité dont il a déclaré n’avoir été certain qu’à l’âge de 25 ans.
À l’inverse, le successeur de Rudolf Noureev à la tête du ballet de l’Opéra de Paris, Patrick Dupond, a découvert l’amour en 2004 dans une relation hétérosexuelle après avoir vécu en homosexuel durant sa carrière professionnelle, ce qu’il justifie en disant qu’« une vie de danseur étoile international est incompatible avec une vie de couple, car il est impossible d’être disponible à l’autre ». Il se reproche à présent d’avoir vécu « dans un mensonge, une parodie de l’amour ». « Ça m’arrangeait de me mentir à moi-même, a-t-il expliqué. En ce qui me concerne, l’homosexualité a été une erreur (3). »
Cette formule a suscité des protestations chez certains militants de « la cause », alors que chaque individu doit être libre de sa sexualité, de ses choix en la matière et de leur évolution. En parlant d’erreur, Patrick Dupond traitait de sa situation et non de l’homosexualité en général. Son propos vient en contrepoint de l’affirmation de Pierre Bergé selon laquelle l’orientation sexuelle serait innée. « Certains vous diront peut-être : “Cela a longtemps été flou dans ma tête” ou “J’ai été hétéro pendant des années, heureux avec ma femme et nos enfants, puis tout à coup…”. Pour moi, ce ne sont que des mots, c’est de la littérature à laquelle je ne crois pas du tout », affirmait-il (4).
Dans un entretien accordé à la BBC (5), Nigel Owens, l’arbitre gallois de rugby qui a officié lors de la finale du Mondial 2015 après avoir révélé son orientation sexuelle en 2007, a confié avoir tenté de se suicider et avoir demandé à son médecin de le « castrer chimiquement » tant il éprouvait de difficultés à s’accepter comme gay.
Comme toute minorité, qu’importe l’origine de cet état, le premier problème que rencontre l’individu qui regarde autour de lui et se compare découle du constat de sa différence et du statut social qui en résulte. Se pose la question de l’estime de soi.
Dans Les Passions de l’âme (6), René Descartes souligne à propos de l’estime et du mépris : « Ces deux passions (…) sont principalement remarquables quand nous les rapportons à nous-mêmes, c’est-à-dire quand c’est notre propre mérite que nous estimons ou méprisons. Et le mouvement des esprits qui le cause est alors si manifeste qu’il change même la mine, les gestes, la démarche, et généralement toutes les actions de ceux qui conçoivent une meilleure ou plus mauvaise opinion d’eux-mêmes qu’à l’ordinaire. » Trois siècles plus tard, Sigmund Freud proposait le regard inverse pour parvenir au même constat : « Dans la vie psychique de l’individu pris isolément, l’Autre intervient très régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié (7). »
L’absence d’estime personnelle, si elle bascule dans la haine de soi, débouche sur la violence. Une violence contre soi et/ou contre les tiers. Le taux anormalement élevé de suicides chez les adolescents homosexuels continue d’illustrer de manière dramatique cette situation. L’impact de la prise de conscience d’une sexualité minoritaire continue de peser lourdement sur les destins individuels. J’en prends comme illustration le témoignage d’un moins de trente ans, issu d’un milieu intellectuel protégé, Charles Consigny (8). Il écrit : « Il faut dire que j’étais assez conscient, sentant l’homosexualité grandir en moi vers l’âge de quinze ans, de la tristesse ontologique dans laquelle j’étais en train de m’engager. (…) Les sociétés progressistes, dominantes en Occident, nient la malédiction intrinsèque de l’homosexualité. (…) J’ai pris une position publique, dans un hebdomadaire (9), en faveur de la loi Taubira, parce que les illusions, les rêves et les fantasmes sont ce qui me permet de ne pas me jeter par la fenêtre. Mais on ne peut qu’être déçu, finalement, par l’homosexualité, bien qu’elle permette au moins d’échapper à la bêtise, à l’égoïsme et à la platitude dont sont frappés les jeunes couples amoureux avec des enfants. Les homosexuels, au moins, sont quand même majoritairement drôles et tristes, traversant l’existence avec une forme de raffinement désabusé. »
Le caractère élitiste de cette perception, qui doit permettre de retrouver l’estime de soi, s’exprime aussi dans le recours, pour de nombreux gays, à une préciosité dans les attitudes et les vêtements destinée à se distinguer en s’élevant au-dessus du commun. Des traits analogues se relèvent dans une littérature gay qui érige son statut minoritaire en complexe de supériorité. D’où, par exemple, une propension à s’assimiler à des personnages historiques, parfois recrutés pour « la cause » sans le moindre indice probant. Dans le cas de Charles Consigny, ce conformisme dans une posture élitiste se manifeste au fil des analyses développées dans ses chroniques journalistiques.
Ces positionnements n’en témoignent pas moins d’une difficulté permanente pour accepter un état de fait qui surgit à un âge où l’ambition première est de s’intégrer, de faire sa place dans le clan, la classe, la bande. Or, cette différence demeure facteur d’exclusion, brutale ou persifleuse, injurieuse ou ironique, qu’importe.
D’abord drapé dans sa toge universitaire, Didier Eribon dit avoir « esquissé une anthropologie de la honte », notamment dans son ouvrage Réflexions sur la question gay. Seulement, cette honte, a-t-il ensuite reconnu dans Retour à Reims, n’était peut-être pas d’abord celle de la sexualité mais plutôt d’une origine sociale prolétarienne qui ne permettait pas d’assumer cette orientation. Un milieu qu’il lui fallait quitter pour pouvoir vivre pleinement. Comme si l’homosexualité ne pouvait s’assumer qu’à travers le prisme d’une forme d’élitisme social ou intellectuel – évoquons Proust, Gide et combien d’autres… –, ou en s’abandonnant aux mondes de la nuit, de la délinquance et de la criminalité, selon un modèle qui renvoie plutôt à Julien Green et Jean Genet.
Ce qui laisse un champ social immense au sein duquel les minorités sexuelles persistent à se dissimuler car elles demeurent la cible des variantes plus ou moins agressives d’une homophobie latente qui émerge, en particulier sur les réseaux sociaux, au moindre prétexte.
Notes :
- 1er février 2013.
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Surnom donné aux signataires de la pétition rédigée par Simone de Beauvoir et publiée dans Le Nouvel Observateur en avril 1971 sous le nom de « Manifeste des 343 ». Elle regroupait des femmes connues affirmant s’être fait avorter en dépit de l’interdiction légale. Les signataires s’exposaient à des poursuites pénales. Quatre ans plus tard, la loi Veil dépénalisait l’interruption volontaire de grossesse.
- Paris Match, 6 septembre 2017.
- Psychologies, op. cit.
- 4 février 2017.
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Article 151, « Qu’on peut s’estimer ou mépriser soi-même », Flammarion, collection « GF », 1996.
- « Psychologie des foules et analyse du moi » (1921), Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 2004.
- L’âge tendre, éd. J-C Lattès, 2014.
- Le Point où il tient une chronique.