Puisque le bio est tendance et que vous y êtes sensibles, et comme nous avons, je présume, une égale ouverture aux questions de genre, que diriez-vous de partir de la bio ? #RescapesdelEspece
Georges Marchais, comme le parti communiste français, est né en 1920. Il a peu connu son père qui est décédé alors qu’il n’avait que dix ans. Ancien combattant, dégoûté par la société et tenant un discours anarchisant, René Marchais gagnait péniblement sa vie comme ouvrier carrier. Début 1935, bravant une autorité maternelle pourtant affirmée, le petit Georges, brevet élémentaire en poche, décide de partir vivre à Paris chez sa demi-sœur Berthe, l’aînée des trois enfants que sa mère, veuve d’un combattant de la première guerre mondiale, a eus de son premier mariage.
Berthe a épousé un Breton, Émile Touaux, qui est menuisier dans l’aéronautique, un secteur industriel à ses débuts mais qui fait rêver l’adolescent. Déjà l’aluminium commence à supplanter le bois. Georges va s’installer dans l’appartement du couple, du côté d’Alésia dans le 14e arrondissement, et trouve un apprentissage dans une entreprise de décolletage située dans le 11e arrondissement. Il va y rester trois ans, de 1935 à 1938.
Dans cet arrondissement entre Bastille, Nation et République se situe la Salle des métallos, siège du syndicat CGT de la métallurgie et lieu de fêtes, bals et soirées diverses animées par des militants communistes, relève avec pertinence Nicolas Tandler. Sur les grands axes de ce même arrondissement se déroulent les cortèges de soutien aux Républicains espagnols puis ceux du Front populaire. « Je regardais cela d’assez loin, car je n’étais toujours ni politisé, ni syndiqué (1)», se justifie de son côté Georges Marchais.
Ses condisciples de l’école de Falaise décrivent pourtant un gamin « hargneux ». En outre, cette manière de braver l’autorité maternelle et de vouloir intégrer un secteur industriel novateur, fortement syndicalisé, ne témoigne guère en faveur de cette passive indifférence aux remous du monde. J’y retrouve sans surprise certains des traits de caractère du dirigeant communiste.
Admettons la version officielle. Est-il envisageable que cette indifférence ait atteint un tel degré que la loi de nationalisation d’août 1936, qui concerne les usines d’aviation donc l’industrie dans laquelle il aspire à travailler, ait glissé sur Marchais sans laisser la moindre trace, le plus petit souvenir ?
Dans son récit de 1974 il ne témoigne que de son entrée, en 1938, à la Société nationale de construction aéronautique du Centre (SNCAC). Il y a été embauché, explique-t-il, grâce à l’entregent de son beau-frère Émile. Si on en croit les spécialistes de l’histoire sociale (2), le taux de syndicalisation CGT dans l’aéronautique était de l’ordre de 85%. Les autres n’étaient pas passifs mais se réclamaient de l’anarcho-syndicalisme. Seul Georges Marchais aurait erré dans cet univers sans engagements ni convictions ?
C’est d’autant plus surprenant que le 30 novembre 1938 une grève massive est déclenchée contre les décrets-lois d’Édouard Daladier. Le chef du gouvernement, dans une logique qui n’est pas si différente des discours actuels contre les réfugiés et les immigrés, voulait une forme de « France aux Français ». Il avait promulgué un décret-loi sur la police des étrangers le 2 mai 1938, suivi par un complément le 12 novembre, qui prévoyait l’internement des « indésirables étrangers ». Élargis par une loi l’année suivante, ces textes serviront de base légale pour les camps dans lesquels seront enfermés les réfugiés de la Retirada (3).
Une page d’histoire qui, à nos yeux contemporains, apparaît comme une flétrissure en raison des conditions d’accueil indignes qui furent réservées par la France à des voisins en détresse. Comme nos héritiers jugeront sans doute avec sévérité notre comportement face aux réfugiés d’aujourd’hui. L’ampleur du mouvement de contestation entraîne, le 1er décembre, un lock-out (4) à la SNCAC que Georges Marchais ne peut pas ne pas avoir gardé en mémoire.
C’est à partir de cette embauche à la SNCAC que nos routes divergent. Tandler admet la version de Marchais et suppose une arrivée dans le groupe industriel postérieure au lock-out. Je préfère demeurer sur l’hypothèse d’un Georges Marchais tel que nous l’avons connu dans sa vie publique : grande gueule, engagé, plus porté sur l’action que sur la réflexion. Si, comme son âge et le contexte professionnel et géographique l’y incitaient, il s’est engagé parmi les jeunes communistes au moment du Front populaire, l’ensemble de son cheminement devient cohérent mais ne peut plus être pris en charge par la direction du PCF après la guerre.
« L’affaire Marchais » n’existerait pas dans la forme sous laquelle elle a été instruite. Elle ne serait que le fruit d’une contradiction propre au parti communiste lui-même.
Je trouve significatif que, lorsque Georges Marchais a retracé sa vie pour Harris et Sédouy, il ait enjambé la période 1938-1940. Il ne se serait rien passé de significatif durant ces années pourtant décisives dans l’histoire du communisme ? Une période sur laquelle le PCF, lui aussi, répugne à revenir. Si Georges Marchais a été un jeune militant impétueux et discipliné, à l’image de ce que la suite de sa carrière illustrera, il importait, pour la direction du PCF, d’en dissimuler au maximum les éléments. Il convenait de maintenir le voile qui a été jeté sur un épisode de l’histoire du parti qu’il ne souhaite plus assumer de nos jours.
Notes :
- Propos de Georges Marchais tenus le 14 juin 1974 à André Harris et Alain de Sédouy et reproduits dans Voyage à l’intérieur du parti communiste, Seuil, 1975.
- Dans son ouvrage, Nicolas Tandler se réfère notamment à Antoine Prost, La CGT à l’époque du Front populaire 1934-1939, Armand-Colin, 1964.
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Exode qui, à partir de février 1939, a suivi la victoire du général Franco sur la Seconde République espagnole. 450 000 réfugiés ont franchi la frontière franco-espagnole.
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Ou « grève patronale ». Fermeture provisoire de l’entreprise par ses dirigeants en réponse à un conflit collectif.