Les grands principes vont de pair avec les autoportraits ciselés afin de donner de soi l’image la plus flattée possible. Ne soyez pas dupes. #RescapesdelEspece

L’image que l’on se fait de l’autre, si souvent négative. Sa propre image, si souvent flattée. Une fois de plus Philippe de Villiers avait insisté pour que je vienne en Vendée et que je voie son Puy du Fou. Notre collaboration auteur-éditeur se déroulait en pleine confiance, en dépit de nos divergences politiques. J’avais apprécié à sa juste valeur la manière dont il s’était emparé de l’ouvrage de l’inspecteur Gaudino (1) sur le dossier « Urba » et les financements irréguliers du PS. Il l’avait transformé en support d’un feuilleton hebdomadaire, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. Le voir, à la télévision, brandir le livre en haut des travées ne pouvait pas nuire à sa diffusion. Comme ses manuscrits ne posaient pas ou peu de problèmes, j’aurais pu vivre un rêve. Seulement, en contrepartie, il fallait sortir ses ouvrages dans l’urgence, au prix d’une véritable course contre la montre. Épuisant.
Cette année-là, au motif de visite traditionnel s’ajoutait le départ de la course transocéanique Vendée Globe dont le département avait racheté la licence. L’édition 2004-2005 devenait un événement politique en prolongeant et en démultipliant la stratégie engagée avec le Puy du Fou. Comme l’ont relevé Jean-Clément Martin et Charles Suaud (2), chaque fois qu’il se présente à un large public, Philippe de Villiers se sert de la construction d’une communauté vendéenne singulière comme d’une sorte de proclamation identitaire, pour lui-même et pour la Vendée. J’étais curieux de découvrir l’usage qu’il allait faire du nouvel outil sur lequel il venait de mettre la main.
Je n’étais pas le seul invité parisien. Le vol privé dans lequel j’ai embarqué au Bourget rassemblait une dizaine de personnes. Dont Patrick Poivre d’Arvor flanqué d’un garçonnet. Celui qu’il avait déjà exhibé dans les tribunes VIP du tournoi de tennis de Monte-Carlo, mobilisant la presse people et faisant se pousser du coude la moitié du public qui, susurrant ou gloussant, commentait : « T’as vu, il est avec le fils de Claire Chazal ! » Bien sûr, PPDA présente son comportement comme celui d’un adulte attentionné cherchant à faire plaisir. N’allez surtout pas lui dire que, sans la moindre vergogne, il exploite tout, absolument tout, même des enfants, à son seul profit, pour cadrer son image comme il souhaite que nous la percevions.
Depuis des décennies, au moins deux fois par an je vais consulter à Tarnier. Depuis mon départ de la capitale, j’ai mes habitudes dans un petit hôtel tranquille de la rue Pierre-Nicole dont j’ai appris qu’il a été fréquenté par Patrick Modiano. À chaque séjour, je passe devant la Maison de Solenn. Un jour, dans le bus qui allait nous déposer à l’arrêt voisin, deux adolescentes s’interrogeaient :
– C’est quoi, Solenn ?
– Sais pas.
J’ai gardé le silence. Ce centre pour adolescents, situé dans l’enceinte de l’hôpital Cochin et ouvrant sur le boulevard de Port-Royal, traite notamment les troubles liés aux diverses formes d’anorexie. Il a pu être édifié grâce à l’opération « pièces jaunes » parrainée chaque année par Bernadette Chirac. Le couple Chirac a été confronté à ce mal redoutable dont leur fille Laurence, décédée en avril 2016, a souffert de manière plus ou moins aiguë sa vie durant. Or, le bâtiment ne fait pas référence à ce drame familial mais porte le nom de Solenn en souvenir de la fille de Véronique et Patrick Poivre d’Arvor qui s’est jetée sous une rame de métro en 1993, après trois années de dépression liée à une anorexie mentale. PPDA se plaît à laisser dire qu’il a pu être financé par les droits d’auteur des livres qu’il a consacrés au décès de sa fille, et qu’il a en effet rétrocédés. Cet affichage me paraît faire tache dans le berceau du rigorisme janséniste dont Pierre Nicole était l’un des théologiens.
Au départ du vol vers la Vendée, nous nous sommes salués puis, à l’arrivée, nous avons emboîté le pas au maître des lieux pour suivre le programme prévu. Nous devions passer la flotte en revue, ponton après ponton. J’ai suivi le mouvement, en arrière de la troupe, regardant PPDA se pousser du col et jouer des coudes de manière à ne jamais être décollé de Philippe de Villiers et paraître à ses côtés dans chaque prise de vue. C’était puéril mais pas inattendu. Après le déjeuner, nous avons embarqué sur un bateau de promenade de manière à suivre le départ en rade, tandis que Philippe de Villiers prenait place sur une autre embarcation, avec les organisateurs, pour donner le signal. Un passage au Puy du Fou, puis retour à l’aéroport pour rentrer à Paris. Avant que nous ne décollions, PPDA, qui avait pris place juste derrière moi, passe quelques appels téléphoniques dont chacun, dans l’étroite cabine, pouvait bénéficier. Il s’excuse auprès de son interlocuteur de n’avoir pu le rappeler plus tôt : « Tu comprends, je donnais le départ du Vendée Globe. » Je n’en croyais pas mes oreilles.
Ce besoin d’imposer et de gérer une image, de paraître ce que l’on n’est pas, prend des cheminements variés. Je ne voudrais pas, dans cette énumération, oublier ma tête de Turc favorite. Alain Duhamel, en dépit de ses allures d’éternel enfant de chœur qui trahissent une formation, se présente avec complaisance – est-il capable d’un autre registre ? – en prototype du protestantisme français. Il s’exprime à ce titre dans des émissions de télévision alors qu’il n’est devenu protestant que tardivement, par conversion et en référence à sa belle-famille, les Boeswillwald. Il ne suffit pas de posséder une résidence dans les Cévennes pour se réclamer d’une tradition quand, par ailleurs, on témoigne d’un tel conformisme dans la pensée. Le contenu de ses commentaires politiques illustre combien la notion de culture minoritaire, inhérente au protestantisme français (3), lui est étrangère. Je ne peux m’empêcher de voir là comme une forme d’escroquerie intellectuelle.
Notes :
- L’Enquête impossible, Antoine Gaudino, Albin Michel, 1990.
- Le Puy du Fou en Vendée, l’Histoire mise en scène, L’Harmattan, 2000.
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Car, lorsqu’il est majoritaire, le protestantisme sait faire montre du même mépris pour les minorités que les autres religions ou idéologies. À preuve, la Bible Belt, ceinture de la Bible, au sud des États-Unis, et la ségrégation raciale en Afrique du Sud, imposée par des Afrikaners à forte majorité protestante. Il est vrai qu’aux Pays-Bas également se retrouve une ceinture de la Bible, la Bijbelgordel.