111 – Testostérone

Et qui dit image flattée, dit pour les mecs virilité exhibée. Vous le savez bien. Parfois, jusqu’au harcèlement, jusqu’à l’affichage imposé de l’image de cette virilité. #RescapesdelEspece

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        Cette primauté de l’image, de l’apparence, sur la réalité détermine la nature des combats électoraux. La symbolique mobilisée emprunte aux schémas sociaux les plus archaïques. À ceux qui fleurissent dans les tribunes des stades. Dans l’affrontement électoral comme lors des rencontres sportives, le pédé c’est l’autre. Aujourd’hui comme hier, le pouvoir comme les couilles sont des attributs virils.

         Le pénis demeure brandi comme suprême argument. Sa photo ou son symbole – l’aubergine en particulier – tendent à envahir les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de Twitter, Instagram, Snapchat ou Tinder. Parmi les divers scandales de harcèlement sexuel qui ont touché la chaîne de télévision conservatrice Fox News, la suppression de l’émission The Specialists et la mise à l’écart de son présentateur Eric Bolling ont résulté du fait qu’il avait envoyé à au moins trois collègues femmes plusieurs textos contenant une photo de parties génitales. Une enquête effectuée en 2016 et publiée par le site Singles in America situe à 49% des femmes interrogées celles ayant reçu au moins une dick pic, c’est-à-dire une photo de pénis non désirée. Les millennials seraient les principaux coupables.

        En dehors de l’âge, comment, dans ce contexte, s’étonner qu’un tweet illustré d’une photo anatomique de cette pièce essentielle du corps masculin ait été adressé au Républicain, et très catholique, éphémère président du conseil régional des Pays-de-la-Loire, Bruno Retailleau, élu de la Vendée et figure de proue des équipes de campagne de François Fillon ? Le cliché était accompagné du gazouillis suivant : « Coucou, tu veux voir mon tweet ? » Il émanait du compte d’un de ses collègues du Sénat, le centriste Joël Guerriau, élu en Loire-Atlantique. Ce dernier a hurlé au piratage pendant que le Web se déchaînait en détournements variés à ses dépens. Un piratage « interne », a dû pondérer l’équipe du sénateur twittos. Avec les technologies contemporaines, c’est l’ensemble du pays qui bénéficie des échanges d’« arguments » entre élus. C’est ce que Ségolène Royal appelait sans doute la « démocratie participative ».

          Le maire du Havre, Luc Lemonnier, a été contraint à la démission pour avoir expédié, lui aussi, des photos de son sexe à des femmes qui n’avaient rien sollicité. Une fascination qui trouve peut-être son origine dans l’activité politique. Longtemps a été prêtée à Charles Pasqua la paternité de la formule « la politique, ça se fait à coups de pied dans les couilles ». Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. Il a démenti en 2001, sur LCI, avec un addendum dans son style : « Je ne m’exprime pas comme cela. (…) C’est plutôt Chirac, il emploie un langage plus châtié. » De fait, face aux exigences en matière de budget européen de la « dame de fer » britannique, Margaret Thatcher, Chirac résumait le dossier d’un : « Qu’est-ce qu’elle veut, la mégère ? Mes couilles sur un plateau ? »

       À la fin du débat d’entre-deux-tours face à Marine Le Pen, que dit l’un des collaborateurs d’Emmanuel Macron (1) lors du débriefing dans la loge : « Elle a compris que tu avais des couilles. » Une ambition que partageait Nathalie Kosciusko-Morizet avant la primaire de la droite et du centre. Seule candidate, elle se définissait, face à ses collègues jugés timorés, « en mode greffage de couilles (2) ». Cette unité de mesure demeure un invariant de la politique, même lorsqu’on prétend la renouveler. Encore que des ambiguïtés puissent apparaître. Clemenceau ne disait-il pas de Lyautey (3), résident général du protectorat français au Maroc, « Cet homme a toujours eu des couilles au cul, même quand ce n’étaient pas les siennes »?

       Au-delà du discours de rigueur sur la féminisation de la vie publique et les bienfaits qui en résultent, le combat politique demeure placé sous le règne de la testostérone. Pour échapper à cette dictature, il faut sinon s’éloigner de la politique, du moins effectuer un pas de côté. À Cannes, en 2016, la réalisatrice de Divines, Houda Benyamina, avait salué le courage du délégué général de la Quinzaine des réalisateurs lui ayant attribué la Caméra d’or d’un désormais légendaire : « T’as du clito ! »

        Dans le monde politique, la norme de l’homme blanc hétérosexuel demeure hégémonique. Aude Lorriaux note : « En ce qui concerne les attaques, on remarque que celles adressées aux femmes et aux minorités peuvent être très similaires. La sexualisation du corps par exemple, qui touche aussi bien les femmes blanches que les femmes non blanches, et les non-Blancs en général, ainsi que les personnes homosexuelles. C’est aussi le cas de l’animalisation. » (4)

          Les femmes qui, au plus haut niveau, tentent de relever le gant se doivent de proposer une image asexuée, à la manière d’Angela Merkel et d’Hillary Clinton ou, en France, de Martine Aubry, de Michèle Alliot-Marie ou de Marine Le Pen. On disait naguère de Margaret Thatcher qu’elle était le seul homme du gouvernement britannique. Une autre femme en charge du 10 Downing Street, Theresa May, a justifié son revirement sur des élections législatives anticipées qu’elle s’était engagée à ne pas convoquer en disant : « J’ai eu les couilles de le faire. » 

             To have balls, synonyme d’avoir du courage, une qualité qui, dans notre univers genré, ne peut être liée qu’à la masculinité. Je ne voudrais pas réveiller les combattants anti-« théorie du genre » (5), mais ils devraient réfléchir à ces exemples, peut-être commenceraient-ils à comprendre les nuances ou les ruptures qui peuvent exister entre le sexe biologique, la sexualité réelle, la sexualité fantasmée et l’apparence sociale sexuée, bref ils pourraient s’intéresser au genre.

           D’ailleurs, même s’ils tournent aujourd’hui le dos à cette question, les hiérarques catholiques furent les premiers à poser le sujet sur la table. Lors du second concile de Mâcon, en 585, un des prélats avait soulevé la grave question de savoir s’il était légitime de nommer « homme » une femme (6). Un débat aussi vertigineux que celui qui porte sur le sexe des anges. En effet, les textes sacrés disent que Dieu a créé l’homme – homo – et qu’il a donné une femme – femina — à l’homme – vir —, ce qui signifie que homo englobe tous les êtres humains sans prendre en compte la différence de sexe. Le genre grammatical a par la suite été opposé au genre humain pour justifier une prétendue infériorité de la femme. Ceux qui, en exploitant les travaux du concile de Mâcon, ont élaboré cette « théorie du genre » sont des dignitaires catholiques.

           Je m’étonne que, sur leur lancée, ils ne se penchent pas, à présent, sur les normes de cette société masculine qu’ils composent, dont les codes sont constitués de rubans et de dentelles et dont les longues robes dont ils sont drapés voltigent lorsqu’ils en soulèvent les pans avec délices. En charge, après le concile Vatican II, de l’adaptation de la liturgie dans la province française de l’ordre bénédictin, Michel Benoît a évoqué le comportement de ses frères dans les abbayes qu’il a été amené à visiter : « Souvent – mais pas toujours, bien sûr – je notais une espèce de préciosité, de maniérisme dans les relations qui se laissaient voir. On ne se touchait pas, on se frôlait, on s’approchait tout en s’éloignant. Les gestes de mains, les regards, les démarches parfois, avaient quelque chose d’un peu féminin. Était-ce la robe que portaient ces hommes ? Je ne sais (7).»

            Les études de genre (8) devraient concerner les autorités catholiques au premier chef. À moins que leur rejet militant ne soit l’expression d’une crainte panique. Mais de quoi ? Dans son ouvrage, Michel Benoît amorce une réponse : « Non, les moines avec lesquels je vivais ne pratiquaient pas l’homosexualité : la rumeur populaire était totalement injustifiée. Mais oui – la chose m’apparaît désormais avec évidence – oui, les moines sont très souvent homosexuels dans leur tête » (9).


Notes :

  1. Cf. Emmanuel Macron, les coulisses d’une victoire, doc. cit.
  2. Le Monde, 7 mars 2016.
  3. Christian Gury s’est attaché à faire du maréchal Lyautey et de son épouse le passe-partout explicatif des personnages d’À la Recherche du temps perdu. Lyautey aurait servi à bâtir le baron de Charlus. Cf. Proust et Lyautey, Non Lieu, 2009.

  4. Entretien avec Erwan Duchateau dans Les Inrocks, 27 janvier 2018, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage qu’elle signe avec Mathilde Larrère : Des intrus en politique – Femmes et minorités : dominations et résistances, Ed. du Détour.
  5. Cette mythique « théorie » est aussi sérieuse que la vidéo que je vous propose en illustration sur la page Facebook https://www.facebook.com/pfisterthierry
  6. Une controverse qui a donné naissance à la légende voulant que ce concile ait reconnu, à une faible majorité, la présence d’une âme chez les femmes.
  7. Prisonnier de Dieu, Albin Michel, 2008.
  8. Parmi ces études peuvent figurer des textes délirants ou militants qui sont exploités en vue de décrédibiliser la recherche, mais c’est un autre problème.

  9.  Cf. aussi Sodoma, enquête au coeur du Vatican, Frédéric Martel, éd. Robert Laffont, 2019.

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