Imaginez que se rencontrent la virilité exhibée et l’accusation de ne pas être un des jules de la bande ? Le groupe ne peut qu’exploser. Souvenez-vous des démêlés de l’équipe de France de football à Knysna. #RescapesdelEspece
À l’occasion d’une réunion de famille, alors qu’avant le repas je passais par les toilettes du restaurant et prenais place devant un lavabo aux côtés d’un de mes neveux, il remarqua rigolard : « Tu te laves les mains comme un chirurgien. » Au prétexte qu’il passe ses semaines dans un bloc opératoire, il s’imagine sans doute que sa profession a seule le privilège de fouiller dans les fèces. Je peux témoigner du contraire. Tout le monde connaît la célébrissime citation de l’ancien président de l’Assemblée nationale Édouard Herriot : « La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. » Là encore, il n’existe pas de monopole. La politique n’est pas seule à relever de ce précepte gastronomique. La règle s’applique à d’autres domaines d’activité.
En raison de l’absence de culture générale qui permettrait d’arrondir les angles, des excès générés par une débauche financière indécente et d’une surexposition médiatique, le football n’est pas simplement le reflet caricatural de l’homophobie sociale, il offre de manière exacerbée d’autres traits de notre fonctionnement collectif. Prenons la fameuse « grève » de l’équipe de France en 2010 à Knysna, lors du Mondial en Afrique du Sud. Elle avait été provoquée par le renvoi de Nicolas Anelka de l’équipe après qu’il eut lancé à son entraîneur, dans les vestiaires, « Va te faire enculer, sale fils de pute », si on en croit la une de L’Équipe (1), ou, selon le destinataire des propos, « Enculé, t’as qu’à la faire tout seul, ton équipe de merde ! J’arrête, moi… (2)». Sur la référence à la pénétration anale, il n’y a pas matière à débat.
Cette mise à pied d’Anelka avait déclenché une chasse aux sorcières au sein de l’équipe de France, traque menée à l’initiative de ceux que la ministre des Sports de l’époque, Roselyne Bachelot, avait qualifiés de « caïds immatures », à savoir le capitaine des Bleus, Patrice Evra (3), et Franck Ribéry qui avait fait irruption sur le plateau de l’émission de TF1 « Téléfoot ».
Pour les deux, la seule véritable urgence après cet épisode consistait à démasquer le « traître » qui avait balancé les propos d’Anelka à L’Équipe. Un traître qui, à leurs yeux, n’est pas anonyme mais, à tort ou à raison, ressemble à Mathieu Valbuena. Il avait déjà été le souffre-douleur, en équipe de France mais aussi à l’Olympique de Marseille. Le bizutage dans les vestiaires de l’OM fut sévère et sans fin, allant jusqu’à mettre une pommade irritante dans son slip. Car, n’est-ce pas, c’est en ces lieux que se situait le symbole de la rivalité. Quand une sextape de Valbuena a commencé à circuler et qu’elle est parvenue jusqu’à Karim Benzema, ce n’est pas une question d’argent qui était en jeu mais l’occasion de régler les comptes de Knysna. Un réflexe intergénérationnel entre « caïds immatures », en quelque sorte.
La presse reste discrète sur cet aspect du dossier afin de préserver le « secret des sources ». Toutefois, le temps a commencé à faire son œuvre. Cinq ans après les faits, le magazine France Football a rendu public, au conditionnel, le secret de Polichinelle. L’ancien agent de Valbuena, Christophe Hutteau, a jugé bon de s’inscrire dans le processus en jetant un peu d’huile sur le feu : « On ne combat pas un homme à terre, mais je ne peux pas tout laisser dire. Il n’est pas seulement une victime (4).»
Voici quelques faits qui, en vrac, ne disent rien et l’ébauche d’un schéma organisateur pour tenter de trouver du sens à cette séquence. Un exemple de jus de crâne qu’une vérification systématique permet de valider, ou non. Par chance, à l’inverse de la biographie de Georges Marchais, les témoins existent, des éléments matériels peuvent être recoupés. Tant que ce travail n’a pas été effectué, ce raisonnement n’a aucune valeur historique, ni même journalistique. « Les faits, coco, les faits ! »
Qu’est-ce qui me prend de me mêler de l’équipe de France de football ? Encore que le terme « prétention » puisse être approprié dans ce rapprochement, je n’ai pas celle d’imiter Manuel Valls. Il ambitionnait de peser sur sa composition lorsqu’il était Premier ministre. Par chance, à l’inverse de sa situation vis-à-vis des députés, il ne disposait pas des facilités d’un passage en force légal. Dans le cas contraire, les Français auraient été sommés de prendre modèle sur le club de cœur du Catalan, le Barça.
Je ne cherche pas à récupérer ce sport pour faire ma publicité comme tant de dirigeants politiques, de Nicolas Sarkozy à François Hollande. Le mélange foot et politique est de mise dans les médias également. Soit, comme Pascal Praud (5), on passe du premier à la seconde, soit, comme Bruno Roger-Petit, on effectue le chemin en sens inverse. Dans les deux cas avec un sens aigu des responsabilités. En défendant les présidents de club pour le premier, le président de la République pour le second. Pourquoi est-ce que je me hasarde à mon tour parmi ces chausse-trapes ? L’explication est simple : je suis rancunier. J’ai un vieux contentieux avec un individu qui est devenu le principal agent du foot français, son éminence grise et l’un des piliers de son système de pouvoir.
Notes :
- 19 juin 2010.
- Raymond Domenech, Tout seul, Flammarion, 2012.
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« Le problème de l’équipe de France, ce n’est pas Anelka, c’est le traître qui est parmi nous, il faut le dire. Comment cette chose a pu sortir dans la presse ? Il n’y a que nous, les joueurs et le staff, qui savions. C’est le traître qu’il faut éliminer du groupe » (conférence de presse du 19 juin 2010).
- France Football, 18 novembre 2015.
- Qui est aux institutions du football ce qu’Alain Duhamel est à celles de la politique.