Quand leurs dirigeants truquent, trichent et mentent, pourquoi les peuples les suivraient-ils? #RescapesdelEspece

Certains hommes politiques se prennent nonobstant pour des lumières. Ils adorent les titres universitaires ronflants. Ils se rengorgent en les mettant en exergue sur leur curriculum vitae. Parfois, malheureusement, un regrettable moment de distraction les amène à commettre des erreurs. C’est ce qui s’est produit pour ce pauvre Bruno Le Roux qui, aussi longtemps qu’il a présidé le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, se targuait d’être un ancien élève de l’Essec et de HEC[1]. Sauf que c’est faux.
À sa décharge, il s’est pris les pieds dans un document administratif d’une complexité inouïe. Même un législateur compétent ne pouvait détecter le piège. Bruno Le Roux est titulaire d’un diplôme d’études approfondies (DEA) de stratégie et management de l’université Paris X-Nanterre « en partenariat avec HEC et l’Essec ». « Partenariat », comment voulez-vous ne pas trébucher sur ce terme étrange ?
Il a fallu attendre que, devenu ministre de l’Intérieur, son cursus soit regardé de près pour que le site Atlantico révèle la supercherie. Une erreur des collaborateurs, s’est récrié le brave homme pour sa défense. Qui a recruté pareils incompétents ? Ce bon Le Roux n’est qu’une malheureuse victime, qui n’a jamais pris le temps de vérifier, des années durant, ce qui était dit de lui sur le site du groupe parlementaire qu’il présidait. Prends-nous pour des cons !
L’absence d’éthique personnelle témoigne d’une conception clientéliste de la politique. Le « nouveau monde » promis par Emmanuel Macron se dissipe comme un mirage dans le désert. Il ne suffit pas de voter des lois de « moralisation », encore convient-il d’adopter ensuite des comportements en adéquation avec la notion d’intérêt général. Tel n’est pas le cas lorsque des parlementaires s’exonèrent, par un vote, de prélèvements financiers qu’ils imposent au reste des citoyens. Ce fut le cas avec la Contribution Sociale Généralisée (CSG) qui ne sera plus prélevée sur les indemnités parlementaires. J’avais naguère suggéré — sans le moindre succès — alors que se discutait une réforme constitutionnelle, d’interdire aux membres de toute assemblée élue de pouvoir se soustraire, ès-qualités, aux prélèvements qu’ils décident.
De ces comportements médiocres découle que les élus ne sont plus perçus comme mobilisés sur des valeurs, pour un pays, mais simplement avides de se servir. C’est « l’assiette au beurre » qui avait donné son nom, à l’aube du XXe siècle, à un magazine satirique, en référence à une vieille expression populaire dénonçant les nantis qui accaparent pouvoir, honneur et finances. On ne cessera jamais de le répéter : pour grimper au mât, il convient d’avoir les fesses propres. Bruno Le Roux comme François Fillon auraient dû s’en souvenir. Comme Richard Ferrand lorsqu’il s’est mis en marche aux côtés d’Emmanuel Macron. Comme François Bayrou et l’équipe dirigeante du Modem. Sans oublier les pratiques de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon.
C’est cette même médiocrité qui conduit à la vanité des affichages universitaires et à la revendication de diplômes. A cet égard, le sigle HEC semble fasciner les ambitieux politiciens puisqu’en 2007 la garde des Sceaux Rachida Dati avait déjà été prise les doigts dans le pot de confiture. Pour pouvoir intégrer l’École de la magistrature, elle s’était prévalue d’un MBA[2] européen du groupe HEC-ISA (Institut supérieur des affaires) qui s’est révélé fantomatique. Elle aussi avait plaidé la confusion. À sa décharge, la direction d’HEC avait confirmé que, si elle n’avait pas obtenu son diplôme, « alors qu’elle avait validé tous les modules », ce ne serait que faute d’avoir assisté au séminaire de clôture.
La protégée de Cécilia, à l’époque épouse Sarkozy, ne faisait que précéder dans l’exercice le chef qu’elle avait choisi de servir. Se croyant loin des oreilles parisiennes, l’ex-Président et nouveau conférencier, Nicolas Sarkozy, s’était laissé aller, en 2013 à Montréal, à évoquer un diplôme de Sciences Po qu’il n’a jamais décroché. Le coup de pouce au CV est une pratique répandue, et pas seulement dans le monde politique. Ni Paris-X, ni l’Essec, ni HEC ne sont responsables de l’usage abusif qui a été effectué par Bruno Le Roux. En revanche, il n’est pas impensable que la sacro-sainte indépendance universitaire puisse permettre de camoufler d’autres peu glorieuses entourloupes.
L’université Paris-VII-Diderot a été contrainte de se défendre après la mise en cause par Mediapart de la thèse de sociologie intitulée Bonapartisme et néo-corporatisme sous la Ve République soutenue par Jean-Christophe Cambadélis sous la direction du professeur Pierre Fougeyrollas, un camarade de l’OCI[3]. L’origine de la controverse fleure les règlements de comptes entre chapelles trotskistes rivales, « lambertiste » pour le gibier et « frankiste[4] » pour le chasseur. Seulement, au sein de la nébuleuse trotskiste, où tout est complot, rien n’est simple. Laurent Mauduit, l’auteur de l’enquête[5] mettant en cause la légitimité des diplômes universitaires de Cambadélis, est lui aussi un ancien de l’OCI. Après être passé par Le Monde, il est l’un des cofondateurs de Mediapart. Il reproche à son ancien camarade des plagiats, non seulement dans sa thèse mais aussi dans son premier ouvrage[6]. Il l’accuse de ne pas disposer des titres universitaires permettant de s’inscrire en doctorat.
À quoi l’intéressé et l’université répliquent qu’une dérogation a été obtenue de manière réglementaire. Il n’en demeure pas moins que le parcours universitaire de l’ancien premier secrétaire de PS pose problème. Sans entrer dans le détail de la polémique, un point – au moins ! – continue d’interroger : comment Jean-Christophe Cambadélis a-t-il pu bénéficier, en 1983, d’une dérogation individuelle sur la base de l’article 6 de l’arrêté Fontanet du 16 avril 1974, qui prévoit cette possibilité si le postulant justifie de « travaux d’un niveau comparable », alors que les ouvrages qu’il a publiés datent de 1986 pour le premier et ne sont publiés qu’à partir de 1996 pour les suivants ? Et comment le conseil scientifique de l’université Paris-Diderot a-t-il pu apprécier ces travaux en vingt-quatre heures puisqu’il s’est réuni le 2 mai et a accordé la dérogation le 3 mai 1983 ?
Si les universités veulent être respectées, elles doivent se comporter de manière respectable. Les établissements français ne sont pas seuls à pouvoir être mis en cause. En Suisse, l’université de Genève n’en finit pas de supporter les conséquences de la thèse de Tariq Ramadan. Elle propose un autre exemple de complaisances universitaires[7] et de collusion opportuniste entre une « vraie » gauche, représentée pour l’occasion par Jean Ziegler, et l’islam radicalisé des Frères musulmans.
Notes :
[1] École supérieure des sciences économiques et commerciales et École des hautes études commerciales de Paris.
[2] Maîtrise en administration des affaires.
[3] L’Organisation communiste internationaliste (OCI), dont fut membre, longtemps sans l’admettre, Lionel Jospin, est l’un des intitulés du courant trotskiste dit « lambertiste », formé dans le sillage de Pierre Lambert, alias de Pierre Boussel.
[4] Héritiers de Pierre Frank qui fut membre du secrétariat de la IVe Internationale de 1948 à 1979 et dirigea la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) au nom de laquelle Alain Krivine s’était présenté à l’élection présidentielle en 1969 et en 1974. La LCR s’est fondue dans le Nouveau parti anticapitaliste (NPA).
[5] À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient, éd. Don Quichotte, 2014.
[6]Pour une nouvelle stratégie démocratique, trois études, avec Pierre Dardot et Philippe Darriulat, éd. L’Harmattan, 1987.
[7] Cf. http://www.lepoint.fr/societe/la-verite-sur-la-these-universitaire-de-tariq-ramadan-10-03-2018-2201259_23.php