149 – Ras l’Front

Vous souvenez-vous, rescapés de l’espèce, d’un certain Cambadélis? Il prétendait guider les pas du peuple de gauche, selon une formule contestable. Il semble avoir disparu. Il a abandonné le chantier. Ce n’est pas la première fois. #RescapesdelEspece

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Jean-Christophe Cambadélis en campagne électorale

              L’analyse des travaux de Jean-Christophe Cambadélis ne peut se limiter à ces péripéties universitaires de bas étage. Les fondations de son grand œuvre, celui dans lequel il a prétendu inscrire sa trajectoire militante et politique, sa destinée, ont été posées à l’aube des années 1990. Comme souvent dans son cas, il est allé emprunter l’idée chez le voisin, mais seule la fin mérite d’être prise en compte, ne nous attardons pas sur les moyens.

            Une nébuleuse était apparue en 1990, sous l’appellation « Ras l’Front », avec pour ambition de contrecarrer la progression du parti dirigé à l’époque par Jean-Marie Le Pen. Sans direction nationale ni ambition de prise du pouvoir ou d’actions judiciaires à la manière des organisations antiracistes traditionnelles, il s’agissait pour ces contempteurs de « fachos » d’initiatives militantes locales qui trouvaient un écho dans la presse de gauche. Surfant sur la vaguelette générée par ce réseau, Cambadélis y a vu un moyen de rassembler la gauche en proposant cet objectif, en principe aisé à rendre commun.

           Une ambition de carrière et une idée simple devaient forger un destin. Il a théorisé sa démarche, trouvé une plume et s’est posé en premier des combattants[1]. Lorsque Bruno Mégret, indépendamment des actions menées par Ras l’Front et consorts, a provoqué une scission du FN en 1999, les vaillants combattants de l’antifascisme ont déposé les armes. Veni, vidi, vici[2].

               La présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 allait réveiller les glorieux vainqueurs avec une gueule de bois carabinée. Les uns après les autres, les premiers secrétaires du PS affichèrent leur volonté de faire du Front national l’adversaire prioritaire. On allait voir ce que l’on allait voir. En 2012, Marine Aubry a créé rue de Solférino, dans ce qui était encore le siège du parti, une cellule de lutte contre le FN dont l’un des piliers était Najat Vallaud-Belkacem[3]. En 2013, Harlem Désir, qui lui avait succédé à la tête des socialistes, en a fait l’un des thèmes de l’université d’été de La Rochelle.

            En 2014, Cambadélis, toujours aussi imaginatif, réinvente la « cellule de lutte contre le FN » de la rue de Solférino, sous les rires et les quolibets de Florian Philippot. Dans le cadre des diverses procédures sur des emplois fictifs qui touchent les formations politiques, les enquêteurs devraient se pencher sur l’activité de cette cellule. Les résultats ne sont guère visibles. En vingt-cinq années d’une lutte prioritaire contre le Front national, le bilan de Jean-Christophe Cambadélis et des siens est éloquent : jamais l’influence de l’extrême droite n’a été aussi forte, jamais ses scores électoraux n’ont été aussi élevés. Durant le même période, le PS a sombré. Comme quoi les grandes pétitions morales ne font pas une bonne politique. Sic transit[4] la « gauche morale ».

                Dans ce combat les arguments mobilisés sont parfois contre-productifs. Comme nul n’en doute, en matière « idéologique » Julien Dray demeure un maître. En conformité avec sa propension à faire le kéké sur les plateaux de télévision, autre exemple d’une déconnexion d’avec le monde réel, son apport dans le débat généré par les rétributions familiales chez les Fillon restera dans les annales. Après avoir proposé qu’il soit interdit aux parlementaires d’exercer toute autre fonction, il a suggéré de porter leur rémunération des 5000 euros net alors à 9000 euros[5].

        Une déclaration qui a provoqué l’indignation de Jean Lassalle, député des Pyrénées-Atlantiques. Le berger béarnais qui, en 2003, en dépit des injonctions du président de séance Jean-Louis Debré, avait chanté Aqueros montagnos dans l’hémicycle du Palais Bourbon devant un Nicolas Sarkozy médusé[6], a été candidat en 2017 à l’élection présidentielle. « On est libres, on choisit de s’engager, on ne fait pas ça pour l’argent », avait-il expliqué[7]. « C’est tellement hors-sol quand on sait que le salaire médian en France est de 1 772 euros [en 2013], abondait Jean-Christophe Picard, président de l’association anticorruption Anticor[8]. Cette indemnité n’est pas faite pour que la personne s’enrichisse, mais pour qu’elle exerce son mandat dans de bonnes conditions. »

               La proposition de Dray n’a pas manqué de lui attirer les sarcasmes d’Hélène Franco, membre du Parti de gauche, qui sur Twitter[9] avait demandé si « les montres de luxe sont comprises ou pas » dans la rémunération. L’ancien député avait fait l’objet d’un rappel à la loi, en 2009, suite à l’achat, pour 7 000 euros, de l’une de ses montres avec un chèque de l’association « 10e circonscription » de l’Essonne. Il affirme lutter pour faire barrage au Front national alors qu’avec ce type de propos en pleine campagne électorale il en faisait le lit. Dray, ce parangon de la gauche thermidorienne, s’est même offert le ridicule de se poser en censeur des dépenses de Benoît Hamon lors de la présidentielle, lui qui n’a jamais franchi le seuil de l’état-major de campagne du candidat officiel de son parti.

                L’ampleur du déphasage entre cette « génération » qui ne s’est pas vue vieillir, et des réalités sociales sur lesquelles elle a perdu prise, a pu être mesurée lors du concert organisé entre les deux tours de l’élection présidentielle, dans la grande tradition des « potes », pour « faire barrage au FN[10] ». « La République réplique » est parvenue à rassembler à peine deux mille personnes, quelques jeunes brandissaient de grandes mains jaunes « touche pas à mon pote » sans en connaître l’historique, le public a regardé avec passivité des images évoquant les résultats du scrutin de 2002 et la qualification de Jean-Marie Le Pen au détriment de Lionel Jospin, des artistes ont défilé sur scène sans conviction et sans livrer de message politique clair, ni donner de consigne de vote. Une pitoyable guignolade.


Notes :

[1] La France blafarde : une histoire politique de l’extrême droite, Jean-Christophe Cambadélis et Éric Osmond, Plon, 1998.

[2] « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu », propos prêtés à Jules César devant le Sénat de Rome après sa victoire en 47 av. J.C. près de Zéla, en Asie mineure.

[3] Réagissez : répondre au FN de A à Z, Najat Vallaud-Belkacem et Guillaume Bachelay, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2011.

[4] Ainsi passe.

[5] Le Point, 9 mars 2017. Pourtant, les Français ne sont pas les moins bien lotis de l’Union européenne. Selon deux classements réalisés en 2016 par Euronews et le site irlandais Thejournal.ie, ils se classent neuvièmes sur 27, avec 85 713 euros brut par an, derrière l’Italie (125 220 euros brut), l’Allemagne (108 984 euros brut), le Royaume-Uni (88 725 euros brut) ou l’Italie (125 220 euros brut), mais devant la Suède (79 392 euros brut) ou le Luxembourg (75 319 euros brut). La moyenne européenne est de 60 843 euros brut. Les Roumains et les Bulgares touchent moins de 20 000 euros brut (Le Monde, 30 décembre 2016).

[6] Voir la vidéo sur https://www.facebook.com/pfisterthierry la page Facebook qui accompagne et illustre ce blog.

[7] Le Parisien, 10 mars 2017.

[8] Franceinfo, 13 mars 2017.

[9] 9 mars 2017.

[10] Organisé par SOS Racisme, la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) et l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) à Paris, place de la République, le 4 mai 2017.

 

 

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