Laisser un capitaine de pédalo venir étendre son linge dans les jardins de l’Élysée, était-ce une bonne idée ? #RescapesdelEspece
Être chef d’État n’a rien d’une fonction « normale ». Surtout en France, sous la Ve République. François Hollande ne l’a pas compris. S’il était demeuré onze ans à la tête du parti socialiste, ce n’est pas en raison de ses qualités tactiques, comme il est de règle médiatique de le répéter, mais parce qu’il n’était pas pris au sérieux par les mâles dominants du troupeau. La rivalité, plus personnelle qu’idéologique, entre Lionel Jospin et Laurent Fabius avait déjà tenté d’instrumentaliser Pierre Mauroy, que Jospin considérait comme un pion dans son jeu. Hollande présentait l’avantage de ne gêner personne. Il permettait une solution de compromis. Dans une boîte de vitesses, il aurait été le point mort. Durant leur houleuse cohabitation au sein du parti socialiste, Jean-Luc Mélenchon ne s’était pas trompé en le qualifiant de « capitaine de pédalo ». Quant à son ancien conseiller, Aquilino Morelle, il parle de « son incapacité personnelle à incarner la fonction présidentielle ».
Son accession à la présidence de la République résulte moins de la stature qu’il aurait su imposer aux siens que de la défection de Dominique Strauss-Kahn en raison de comportements sexuels aventureux. Chef de parti négociant sur le court terme de précaires équilibres il fut, chef de parti Hollande est demeuré à l’Élysée. Là se situe sans doute l’origine d’une forme de mimétisme avec Guy Mollet que j’ai déjà relevée. L’un et l’autre, et Hollande bien plus encore que Mollet, ne tenaient leur autorité politique, durant des années, que grâce à des négociations permanentes avec leurs camarades. Parvenus au sommet de l’exécutif, ils ont découvert le miracle de l’ordre exécuté sans être discuté. Une réalité plus marquée dans la branche militaire que civile. La médaille a son revers. Les administrations proposent des actions. Les militaires comme les civils. Le véritable courage, l’autorité réelle, réside dans le fait d’être capable de dire non. Des décennies de compromis n’y préparent pas.
La fascination de Hollande devant la pratique des « assassinats ciblés » en est la preuve. Il en avait parlé à Davet et Lhomme, les journalistes du Monde auteurs de Pourquoi un président ne devrait dire pas ça… Il y revient dans ses Leçons du pouvoir. J’ai évoqué, dans Tu ne crois pas que tu exagères ![1], l’échange avec Pierre Mauroy lorsque le Premier ministre avait dû décider du sort des assassins de Louis Delamare, ambassadeur de France au Liban exécuté en septembre 1981. Cet aspect des responsabilités étatiques doit-il être porté en sautoir ? Je retrouve dans la fascination malsaine de Hollande celle que j’avais découverte chez Guy Mollet lorsqu’il m’avait initié aux relevés d’écoutes téléphoniques, dont il était parfois destinataire bien que n’étant plus en fonction[2].
Au lieu de s’inscrire, à la manière d’un François Mitterrand, dans la geste monarchique réinitialisée par Charles de Gaulle, François Hollande a offert à un pays médusé, puis dégoûté, un spectacle pitoyable, sorte de condensé des présidences de la IIIe République, oscillant entre Paul Deschanel errant en pyjama le long d’une voie ferrée, Sadi Carnot dont Le Nouvelliste pouvait écrire, lors de sa visite à Lyon où il sera assassiné, « fait probablement unique dans l’histoire des voyages de M. Carnot, il n’a pas plu hier…[3] », et Félix Faure qui, selon le mot de Clemenceau, « voulut être César et ne fut que pompé ». Si François Hollande n’est pas mort physiquement d’une fellation, il a abandonné dans l’exposition publique de ses diverses relations féminines le peu d’autorité politique dont il disposait au début de son mandat.
Ce sexe qui lui avait ouvert les portes du succès en éliminant la candidature de Dominique Strauss-Kahn en raison d’amours ancillaires imposées dans une chambre d’hôtel new yorkaise, a déclenché la spirale de l’échec dès son arrivée dans l’ancien palais de la marquise de Pompadour. L’Histoire a parfois de ces clins d’œil… Il ne lui restait plus qu’à tirer son épingle du jeu. Après tout, dans son sens premier, cette expression est synonyme de coïtus interruptus, ce qui correspond à la situation. François Hollande peut être défini en reprenant une formulation du « Tigre » à propos de Félix Faure : « Ce fantoche vaniteux est retourné au néant où il doit se trouver comme chez lui ». Ses soubresauts médiatiques témoignent qu’il n’en a pas conscience, mais il devra s’y faire.
En dépit de ce parcours navrant, François Hollande semble n’avoir tiré aucune leçon de son passage au pouvoir. Ce en dépit du titre qu’il a cru pouvoir donner à l’ouvrage qu’il a jugé indispensable de mettre en circulation un an seulement après avoir quitté l’Elysée. Sans prendre le temps de la réflexion et de la maturation, il est retombé dans son addiction médiatique. Il a retrouvé, avec son éternel sourire de lou ravi, son rôle familier d’opposant pourfendeur du pouvoir. Ce Don Quichotte aux allures de Sancho Panza charge à nouveau contre le moulin à vent des « très riches ».
Comme le porc qui retourne à sa bauge, il se vautre avec béatitude dans la fange d’un humour populacier. Ou, pour reprendre les termes du porte-parole du gouvernement, dans un « humour gras avec une touche d’homophobie ». Il s’est, en effet, égaré à railler la visite d’État aux États-Unis de son successeur, Emmanuel Macron, et les nombreuses poignées de main et tapes dans le dos échangées avec Donald Trump en estimant, avec le sourire, que le président de la République « est plutôt passif dans le couple ». « François Hollande avait déjà du mal à incarner la fonction présidentielle lorsqu’il était en exercice, avait ajouté en commentaire de ces propos Benjamin Griveaux[4] . Manifestement, il a encore plus de mal à incarner la fonction et la décence qui siéraient à un ancien président de la République. »
L’ampleur de l’échec de François Hollande montre à quel point la nature du débat politique s’est modifiée depuis un demi-siècle. Le statut des dirigeants ne cesse d’évoluer vers plus de banalisation, ce dont Hollande avait cru pouvoir tirer profit en se vendant comme un président « normal ». En réalité, ayant été le premier chef d’État français issu d’une primaire, il aura offert la caricature de ce que ce modèle de sélection peut produire.
La dénaturation progressive des institutions de la Ve République, à laquelle nous assistons depuis l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la tête de l’État en 1974, est justifiée par un discours récurent sur une « modernité » qui excuserait tout. Elle avait servi d’alibi à Giscard pour installer sa vie personnelle, épouse et filles, au cœur de la communication institutionnelle, à l’exemple de ce qui se pratique aux États-Unis où il ne se cachait pas de puiser son inspiration. Dans le même temps, il s’autorisait à rétablir un protocole inspiré de la cour de France en exigeant que demeure libre la place qui lui faisait face, trahissant ainsi sa soif nobiliaire, lui dont la rallonge du nom provient d’un rachat. Comme après lui Mitterrand, il ne retenait de la fonction monarchique que la notion de bon plaisir, en prétendant par exemple imposer à La Marseillaise le rythme qui convenait à ses goûts musicaux.
Note :
[1] P. 175. Toutes ces décisions exigent la double signature du chef de l’État et du chef du gouvernement. Si l’une fait défaut, l’ordre n’est pas exécutable.
[2] Cf. Tu ne crois pas que tu exagères ! p. 48-49.
[3] 24 juin 1894.
[4] 26 avril 2018.