Après s’être effacées les unes après les autres en un ballet furtif, les Constitutions semblaient, avec la Ve République, avoir enfin acquis une forme de stabilité. Illusion d’optique. Notre loi fondamentale est soumise à des réécritures constantes et de plus en plus accélérées, sans qu’aucune vision d’ensemble préside à ce charcutage. Danger. #RescapesdelEspece
L’adoption du quinquennat a été suivie, avec un goût inattendu pour l’inversion et au nom d’une habileté à courte vue, par l’initiative de Lionel Jospin consistant à modifier le calendrier électoral en plaçant les élections législatives après le scrutin présidentiel. Une décision qui se justifiait d’autant moins que les péripéties humaines et politiques peuvent, à chaque instant, bouleverser cet ordre, comme l’ont illustré le décès de Georges Pompidou en cours de mandat et la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997. Premier ministre de cohabitation et s’imaginant à l’Élysée, Jospin comptait donner un coup de pouce aux candidats socialistes et s’assurer une majorité dans l’Assemblée de 2002. Ces combinaisons artificielles buttent sur des réalités têtues.
Dix ans plus tard, lorsque le PS avait désigné ses candidats dans les circonscriptions en vue du scrutin de 2012, la fonction de premier secrétaire était exercée par Martine Aubry. Un certain nombre de ses partisans, forts de son appui, avaient obtenu l’investiture. La maire de Lille ayant été battue lors de la primaire, une fois élu François Hollande s’est retrouvé avec, au sein du groupe socialiste, un quarteron de députés promus par sa rivale. Ils allaient fournir la troupe des « frondeurs ». L’inversion du calendrier électoral, conçue pour aider le Président à obtenir une majorité, se retournait contre lui.
Instruite par l’expérience, lorsque la droite s’est résolue à entrer à son tour dans la logique des primaires, elle a pensé contourner l’obstacle en prévoyant, dans les statuts, de confier les clés du parti au candidat à l’élection présidentielle afin de lui donner le contrôle des investitures. L’épisode François Fillon a montré que la vie est plus complexe que les hypothèses concoctées au sein des appareils partisans. Quant aux accords électoraux négociés par Benoît Hamon avec les écologistes à la suite de son succès lors de la primaire socialiste, ils ne pouvaient espérer résister à la déroute électorale du candidat.
La logique des institutions de la Ve République est détricotée petit à petit, par la réduction de la durée du mandat, la coïncidence des mandats présidentiel et législatif, et à présent des primaires qui tendent à créer un scrutin présidentiel à quatre tours, dont les deux premiers seraient « privatisés ». N’a-t-on pas vu une fraction de l’électorat de gauche chercher à arbitrer les débats de la droite – pour éliminer Nicolas Sarkozy dans le cas d’espèce – en anticipant l’ordre d’arrivée des candidats du premier tour de l’élection officielle ? Et que dire d’un président de l’Assemblée nationale qui, après s’être vanté de ne plus prendre au téléphone le président de la République, envisageait une primaire opposant le chef de l’État et son Premier ministre ? Les ressentiments, les vieilles haines aveuglent.
Le plus grave dans cette mise à bas du cadre constitutionnel est qu’elle s’effectue sans que les auteurs successifs de ces mutations en aient une claire conscience. Aucune logique ne préside à ce Meccano ou Lego institutionnel. Il est bricolé tour à tour par la droite et la gauche au petit bonheur la chance.
Même si le principe de primaires avait été envisagé, dès 1990, par Charles Pasqua afin d’arbitrer entre Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, ce sont les socialistes qui l’ont expérimenté, d’abord en interne dès 1995, suivis par les Verts et les communistes. En 2006, à l’initiative des radicaux de gauche de l’Assemblée nationale comme du Sénat, une proposition de loi a préconisé l’instauration de ce mode de consultation. C’est par ce biais que François Hollande a été désigné en 2011. C’est lui qui a donné son feu vert à Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, pour l’organisation d’une primaire sur mesure, à laquelle il prévoyait de participer en 2016.
J’imagine que ce n’est pas sans une certaine stupeur que les membres du Conseil des ministres, réunis à l’Élysée autour de François Hollande le 8 mars 2017, ont pu l’entendre expliquer que cette procédure « n’est pas adaptée à la Ve République ». « Preuve en est faite actuellement », avait cru devoir ajouter le président de la République en jugeant que les primaires, à droite comme à gauche, « représentent un véritable échec pour la Ve République et pour cette élection ». Ce qui s’appelle s’exonérer à bon compte de ses responsabilités. Même pour piloter un pédalo, il est bon d’avoir un cap.
Autre exemple de cette myopie qui traduit une absence de vision et, pis, de convictions en matière institutionnelle, Manuel Valls. À l’exemple de son premier mentor, Michel Rocard, il a gouverné en engageant de manière répétitive la responsabilité gouvernementale afin de contraindre sa majorité. Il propose désormais de limiter cette possibilité constitutionnelle. Probablement un simple argument de campagne électorale, durant la primaire du PS, afin de « gauchir » son image, mais dont les conséquences pour de futurs exécutifs seraient lourdes.
Ici, où sauf surprise le Likoud est sûr de l’emporter, les q.q. milliers de gus qui, membres de je ne sas pas quoi, votent aux primaires, imposent au pays les ministres à venir. Et comme aux primaires les modérés et ceux qui ont un peu de tenue ne passent pas, tu as déjà une image du prochain gouvernent.
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