Lorsqu’elle briguait la présidence de la République, Ségolène Royal nous avait promis une « démocratie participative ». À l’issue de sa gestion ministérielle, notre participation sera réelle. Elle sera financière afin de combler les trous laissés. La véritable devise de Ségolène devrait être « courage, fuyons ». #RescapesdelEspece

Comme pour un senior policy analyst de la Rand Corporation, le doute ne constitue pas l’un des fondements de la culture énarchique, j’en conviens. L’excès de confiance en soi serait plutôt la norme. Nous en voyons l’illustration dans les candidatures diverses des anciens élèves. Nous en subissons aussi les conséquences. Ce n’est pas le nouveau Président installé à l’Élysée qui infirmera la règle.
Assurer la continuité est une des notions de base inculquées aux étudiants de l’École nationale d’administration. Une partie des futurs hauts fonctionnaires se montrent réceptifs, d’autres moins. Il importe qu’ils introduisent une certaine stabilité dans le désordre inhérent aux procédures démocratiques. Modifier les cursus scolaires, par exemple, ne peut s’apprécier que sur une décennie. Les pays qui, dans ce domaine, de Singapour à la Finlande, devancent haut la main la France en matière de performances moyennes, sont aussi des États bénéficiant d’une stabilité politique.
Seul un consensus dépassant les alternances entre courants politiques peut permettre les grandes réformes structurelles, car leur application nécessite plus qu’un mandat législatif. Certains peuples y parviennent, d’autres non. C’est une question de maturité démocratique. Elle permet de trouver des compromis et de les respecter. Elle ne peut s’acquérir qu’à partir du comportement des médiateurs que sont l’ensemble des acteurs du débat public, syndicalistes, journalistes, et surtout élus. Il incombe aux représentants du peuple de donner l’exemple. Surtout si, comme Ségolène Royal durant sa campagne présidentielle, ils se déclarent adeptes d’une « démocratie participative ».
Ce concept « novateur » est vite tombé dans la caricature. Il s’est résumé, à observer la gestion de sa propagandiste, à un traitement des dossiers en fonction des mouvements erratiques de la vox populi. L’instantanéité médiatique qui est devenue la norme, le flux continu d’enquêtes d’opinion plus ou moins sérieuses, plus ou moins biaisées, entraînent une surévaluation des mouvements d’humeur des citoyens. Cette « démocratie participative » a flotté sur ces courants changeants.
Le slogan de madame Royal est aussi convaincant que l’était naguère la « démocratie avancée » de Georges Marchais. Certains chercheurs, tel Rémi Lefebvre, n’ont pas été dupes puisque, dès son lancement, il avait noté : « La démocratie participative chez Ségolène Royal ne dépasse guère un registre incantatoire qui positionne subtilement la candidate à la fois “au-dedans” et “au-dehors” du jeu politique et vise à produire surtout des effets d’annonce et de légitimité[1]. » Avec un tel talent pour brasser du vent, il n’était pas anormal de lui confier la tutelle politique des éoliennes.
À l’occasion de l’élection présidentielle de 2007 comme dans ses gestions territoriales et ministérielles, l’ancienne compagne de François Hollande a fait montre du même comportement. Elle ne se préoccupe pas du fond des dossiers ou d’une cohérence d’ensemble de ses propos, mais s’applique à dire devant chaque auditoire ce qui est susceptible de plaire et de provoquer l’adhésion. Rien n’est pire.
J’ai le souvenir d’une des premières élections municipales que j’avais été amené à couvrir comme journaliste. C’était dans le Lot, à Cahors dont le radical Maurice Faure était maire. Il m’avait convié à déjeuner et, auparavant, m’avait fait faire un bref tour de ville afin de me montrer les réalisations de son équipe. Fier de ses trottoirs refaits à neuf, il avait soupiré : « Pour le prochain mandat ça va être plus compliqué. Il faut rénover les égouts. Les électeurs ne voient pas le résultat et ne retiennent que la gêne provoquée par les travaux. » Ségolène Royal ne se définit que par réaction à ce qu’il convient, dans son cas, de nommer l’environnement. C’est de cette manière qu’elle a géré sa région puis le ministère de l’Environnement avec, dans les deux cas, une conséquence identique : un gaspillage de l’argent public.
Lorsque les nouvelles régions ont été créées et que le Poitou-Charentes s’est trouvé englobé au sein de la Nouvelle-Aquitaine, le président de cette région, le socialiste Alain Rousset, a demandé au cabinet Ernst & Young un audit complet des trois collectivités qui venaient d’être rassemblées. Le tableau dressé de la gestion de Ségolène Royal est simplement accablant. Aucune maîtrise budgétaire n’a été assurée. Sous sa houlette, les frais de fonctionnement de la région Poitou-Charentes ont explosé, augmentant de 14% entre 2013 et 2015, contre des hausses de 5,7% en Limousin et 1,8% en Aquitaine. Parmi les points relevés dans l’audit figurent le report d’une année sur l’autre des règlements d’entreprises locales, le recours à des emprunts toxiques, l’entrée de la région dans le capital d’entreprises et la garantie des emprunts qu’elles effectuaient.
À ces dépenses mal contrôlées, s’ajoute la fuite démagogique face aux hausses de prélèvements. Avec la Corse, la région de Ségolène Royal a été la seule, depuis son arrivée à la présidence en 2004, à ne pas avoir augmenté le taux de la TICPE[2]. Les auteurs du diagnostic écrivent : « La situation budgétaire de la région Poitou-Charentes s’est fortement dégradée entre 2013 et 2015, dans des proportions plus fortes que les régions Aquitaine et Limousin. » Ils relèvent également des imputations comptables contestables. Toutefois, en décembre 2016, le rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) affirme qu’« il n’y a pas d’insincérité dans les comptes », ce qui a évité à l’ancienne présidente de la région d’être renvoyée devant la cour de discipline budgétaire. « On est sur un champ de mines », a néanmoins estimé Alain Rousset, qui se préoccupe de renégocier l’endettement avec un cabinet spécialisé. Il s’est permis d’ajouter que les dénégations de Ségolène Royal concernant la situation financière qu’elle a laissée en héritage l’amenaient à se demander « si on est allés à la même école pour apprendre à lire et à compter ».
Sur la base d’un bilan aussi brillant, on comprend que, le père de ses enfants étant devenu chef de l’État, elle ait été promue numéro trois du gouvernement. Sa gestion ne pouvait choquer son ancien concubin puisque lui-même, bien qu’ayant mis en branle la puissance publique en vue de faire édifier l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, expliquait à ses journalistes-confesseurs du Monde qu’il ne croyait pas à ce projet. En charge d’un grand ministère de l’Environnement, Ségolène Royal a persisté dans sa ligne de conduite. Les routes et autoroutes ont généré, en raison de la démagogie à la petite semaine de cette ministre, une perte pour les Finances de l’ordre d’un à deux milliards d’euros.
D’abord, en 2014, en reculant dès les premières manifestations hostiles, elle avait renoncé à l’écotaxe, ce qui a contraint l’État à dédommager la société en charge. Une responsabilité partagée avec l’ensemble du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. L’abandon de cette taxe a été jugé illégal par le Conseil d’État, alors que les finances publiques avaient déjà perdu un milliard pour le montage puis le démontage des portiques prévus pour enregistrer le passage des poids lourds. Gabegie financière et incohérence administrative sont les deux enseignements à tirer de la gestion de ce dossier par la ministre.
Ensuite, baissant à nouveau pavillon à la moindre brise contraire, madame Royal décidait d’annuler, en 2015, les hausses des tarifs autoroutiers pourtant prévues, là encore, par contrat avec les concessionnaires. Avec ce courage digne d’éloges constitutif du couple qu’elle formait naguère avec François Hollande, la ministre obtenait de repousser l’ajustement des tarifs sur la période 2019-2023. C’est-à-dire, pour parler clair, qu’elle refilait la note aux successeurs avec un sens de l’État indigne d’une ancienne élève de l’ENA. Le régulateur du secteur des autoroutes a estimé que le surcoût de cette entourloupe sera de l’ordre d’un demi-milliard d’euros. À la charge des usagers. Ils pesteront contre le ministre qui sera en poste à ce moment-là, alors que la véritable responsable de la saignée financière qu’ils subiront est Ségolène Royal.
Cette dernière n’a cure de son incurie. Elle a été reléguée au réfrigérateur, à l’image de Michel Rocard en 2009. Elle lui a succédé dans le pilotage français des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique, avec un titre d’ambassadeur en récompense. Néanmoins, elle demeure toujours aussi satisfaite d’elle-même. Fidèle au comportement qu’elle a adopté depuis un demi-siècle, elle persiste à faire la leçon aux uns et aux autres. Elle inonde, par exemple, de textos et de conseils critiques ses successeurs en charge de l’Environnement qui, à ses yeux, ne se montreraient pas à la hauteur de la politique qu’elle aurait engagée. Je peux comprendre que le ministre et les secrétaires d’État destinataires s’en agacent. En termes pourtant retenus, puisque Nicolas Hulot s’est borné à constater : « Ambassadrice chargée des pôles Sud et Nord n’est visiblement pas un job à plein temps si j’en juge par le temps qu’elle consacre à s’occuper de politique[3]. » Certains cas sont désespérés.
Légende de la photo : En référence à l’ouvrage La Madone et le Culbuto ou l’inlassable ambition de Ségolène Royal et François Hollande, Marie-Ève Malouines et Carl Meeus, Fayard, 2006.
Notes :
[1] Revue Projet, janvier 2007.
[2] Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Depuis 2007, il est prévu une régionalisation d’une fraction de la TICPE. Depuis 2011, les conseils régionaux peuvent majorer une deuxième tranche de cette taxe.
[3] Le Point, 23 novembre 2017.