173 – Logo

Ne croyez pas, rescapés de l’espèce, que gouverner, ce soit agir. C’est surtout attendre. L’État, à l’exemple du ministère de l’Éducation nationale, est un mammouth. Lorsqu’une impulsion part du cerveau, elle met longtemps avant d’atteindre le pied. #RescapesdelEspece

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              Outre les obstacles inhérents aux équilibres budgétaires qu’il convient de respecter, la gestion publique butte sur une autre difficulté, plus délicate à maîtriser. Non seulement il est impossible de prévoir avec certitude, lorsqu’une décision est prise au sommet, à quoi elle ressemblera une fois appliquée sur le terrain, mais personne n’est assuré de la date d’application. J’estime n’avoir, durant les trois années que j’ai passées à Matignon, pris qu’une seule décision opérationnelle. Vous pouvez en mesurer l’effet sur vos feuilles d’impôts. Il s’agit de la création du logo du gouvernement français qui figure sur les documents officiels de la République.

              Jusqu’au début des années 1980, chaque ministère avait son identité visuelle distincte. De la même manière que j’avais suggéré d’harmoniser entre l’Élysée et Matignon le matériel de traitement de textes (puisque nous n’étions pas encore sous le règne des ordinateurs), afin d’éviter que les corrections apportées sur les documents soient repérables, je militais pour une unité des graphismes gouvernementaux destinée à renforcer la notion de cohésion.

              Pas question d’imposer ce genre de décision, il faut la faire partager. Le Service d’information et de diffusion du Premier ministre s’était mis au travail. Convaincre les responsables des différents ministères a été une tâche de longue haleine. Réunion après réunion, l’accord s’est fait. Ce point acté, lorsque trois maquettes, dans le même esprit, nous ont été soumises, j’ai laissé les participants choisir. Je n’avais plus d’opinion puisque j’avais obtenu le seul point important : faire exister un logo commun. J’observais avec amusement la passion soudaine que fait naître un débat autour d’une image. Je l’avais déjà observée, dans la vie de parti, avec les affiches et je la retrouverais, dans l’édition, avec les couvertures des ouvrages.

              Comme les comparaisons de taille du pénis, la fascination pour les dessins débute à l’école maternelle et se poursuit jusqu’à la maison de retraite. Mother man s’est borné à regarder avec tendresse ces grands enfants se disputer à propos de détails insignifiants soudain élevés au niveau d’enjeux vitaux. Le temps a passé, je n’ai plus entendu parler du dossier. J’ai quitté Matignon et je ne pensais plus à cet épisode lorsqu’un jour, dans une rue de Paris, passant près d’un bâtiment officiel Fabius regnante je découvre, sur la palissade d’un chantier, un panneau avec… le logo. « Mon » logo ! C’était vrai, il existait. Ce n’était pas un mirage, j’avais pris une décision. Des années s’étaient écoulées entre la conception et l’accouchement. Gouverner ressemble plus à une gestation d’éléphante[1] qu’à l’arrivée d’un petit d’homme. Et il ne s’agissait que de la mise en forme d’une mesurette technique.

              Depuis, j’observe avec un petit sourire combien de pères s’attribuent cette initiative. Si j’en crois un article de Wikipédia consulté par hasard, Jacques Séguéla expliquerait qu’il aurait proposé cette unification visuelle à François Mitterrand qui aurait refusé. De minimis praetor non curat. C’est oublier que le chef de l’administration se situe à Matignon et c’est bien mal observer la réalité de terrain. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il a fallu attendre le gouvernement Jospin pour qu’une charte graphique soit officiellement établie. Il s’agissait de mettre un terme à la propension des ministères d’étirer le logo dans un sens ou dans l’autre afin de retrouver une originalité visuelle.

              Qu’importe, le propos des uns et des autres façonne la reconstitution qui s’élabore et deviendra de l’Histoire. Il n’existe pas de vérité. Ne pas témoigner revient à laisser les autres réécrire le passé à leur convenance. Le plasticien Ernest Pignon-Ernest a été, lui aussi, victime de ce processus. Il s’est même senti contraint de lancer une alerte sur les réseaux sociaux dont, à 75 ans, il n’est un utilisateur qu’occasionnel : « Mettre en garde aussi contre ma « fiche » Wikipieda… ; j’ai reçu des textes vraiment nuls qu’on m’a dit nourris de cette « fiche »… même ma date de naissance était fausse, maintenant rectifiée, mais le reste propose une approche très réductrice et « politiste » de mes travaux… J’ai en effet traité de ce que l’on inflige aux hommes (et aux femmes) mais en interrogeant les poètes, la littérature, la peinture, les mythologies, les mystiques… Je n’ai jamais illustré le politique à la soviétique ou à la Mao[2]. » Avec le temps, concernant des situations que j’avais vécues, j’ai effectué des découvertes de même nature. Les décalages, parfois marginaux, souvent tendancieux, que j’ai observés ont contribué à me pousser à rédiger ces chroniques.

              La naissance du logo de la République découle d’un processus ordinaire de délibération collective, d’une forme de routine administrative. Jean-Cyril Spinetta dirigeait, durant les gouvernements de Pierre Mauroy, le Service d’information et de diffusion du Premier ministre (SID), puis il a suivi Michel Delebarre aux Transports, ce qui lui a permis d’obtenir la présidence d’Air France. Il pourrait témoigner puisqu’il fut la cheville ouvrière de l’opération.

        Ce prisme des services d’information du gouvernement permet d’autres observations. Quand, à six mois d’un scrutin présidentiel, les communicants de l’exécutif lancent sur le Web un feuilleton bien-pensant destiné aux adolescents et censé les mettre en garde contre le risque de radicalisation islamique, force est de s’interroger sur le décalage entre l’ampleur du défi et la vacuité de la réponse. Déjà, les secteurs consacrés aux détenus radicalisés, mis en place dans certains établissements pénitentiaires, se révèlent un échec. Les structures affirmant pouvoir rééduquer frisent l’arnaque. Comme il convient de donner néanmoins, et de se donner à soi-même lorsqu’on gouverne, l’illusion d’agir, une campagne officielle emplit le vide, comble le manque.

              Les décideurs sont d’autant plus enclins à céder à la tentation, à voir dans le recours à « la com’ » une possible réponse à des questions sociales complexes – violences domestiques ou faites aux femmes, contraception, prévention du VIH… – qu’ils subissent la pression constante des agences à l’affut de nouveaux marchés. Ils savent, surtout lorsque approche l’heure de campagnes électorales onéreuses, qu’en retour ces agences se montreront compréhensives pour venir les appuyer dans leurs tentatives de séduction du corps électoral. Car il ne faut jamais sous-estimer le rôle des financements dans les prises de décision.


Notes :

[1] Prévoir de 18 à 22 mois selon les espèces.

[2] 25 février 2018. L’objet premier de ce message consistait à prévenir que, sur Internet, étaient mises en vente des illustrations de son Rimbaud publié en 1978. « Il y a 32 ans, explique-t-il, j’ai réalisé de nombreux essais de variantes de couleurs sur une machine offset pour un livre sur Rimbaud, essais que l’éditeur a récupérés et  vend (sans lien avec livre) comme oeuvre originale… Ne connaissant pas la machine, j’avais fait beaucoup d’essais… Connaissant l’éditeur, j’aurais dû me méfier. Ce ne sont que des brouillons. Je suis désolé pour ceux qui en ont acheté… Je souhaitais mettre en garde contre cette escroquerie. »

 

 

 

 

 

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