Nous avons assisté à l’effondrement des organisations politiques partisanes lors du dernier scrutin présidentiel. Il ne nous est, en conséquence, proposé que le culte des chefs. Soit celui que nous avons hissé sur le pavois, soit ceux qui ambitionnent de le remplacer. #RescapesdelEspece
Dépourvus de références, les partis politiques sont devenus des structures vides, des astres morts. Ils peuvent émettre longtemps une certaine clarté, même si la source s’en est tarie, comme le démontre le parti radical. Une formation dont le déclin semble plus naturel que celui de ses successeurs dans la carrière puisqu’elle avait rempli sa fonction historique en établissant la République, en séparant l’État des Églises et en rendant obligatoire une école laïque et gratuite, sans oublier la mise en place de l’impôt sur le revenu. Les autres organisations politiques sont loin de pouvoir présenter un bilan équivalent.
Leur état de déliquescence, l’absence de base militante les ont réduites à une fonction d’association d’élus. Ce ne sont plus les directions nationales qui sélectionnent et imposent les candidats. Elles prennent acte et tentent d’éviter des distorsions trop criantes entre les positions des uns et des autres. Cette incapacité à sélectionner et à arbitrer a été camouflée derrière l’instauration d’élections primaires qui, en l’absence de militants, prétend renvoyer les investitures majeures aux électeurs les plus concernés.
Les premières expériences ont montré combien le corps électoral de ce type de scrutin génère un tropisme qui décale les candidats sélectionnés, à droite comme à gauche, par rapport à la réalité de l’ensemble du pays. Il s’agit pour les postulants à l’investiture de séduire les leurs, donc d’en rajouter par rapport à ce qui constitue leur singularité culturelle. Comme il était de règle dans les congrès, à droite on déborde par la droite et à gauche par la gauche, dégageant comme ce fut le cas en 2017 un large espace au centre pour des aventures individuelles, un césarisme souriant.
Les partis perdent dans l’aventure leur liberté de mouvement une fois les résultats actés. On l’a vu lors des péripéties ayant accompagné la campagne de François Fillon. Tel n’aurait pas été le cas si des assises avaient accordé une investiture. Une autre instance aurait pu, en cas de nécessité, annuler ce que la première aurait décidé. Rendre caduc le vote de millions de citoyens est, en revanche, impossible. Matois et prudent, François Fillon s’était garanti, pour bétonner sa position, les parrainages d’élus et la maîtrise du trésor de guerre indispensables à sa campagne.
Les premières expériences de primaires se sont déroulées dans des conditions techniques satisfaisantes. Le caractère improvisé, variable selon les formations, de scrutins qui n’ont pas de valeur légale, peut devenir demain source de conflits. Déjà, lors de la primaire de la droite et à l’occasion de celle du PS, des journalistes ont établi qu’il était possible, en cas de déménagement, de voter une fois à son ancienne adresse avec sa carte d’électeur, et une fois à la nouvelle avec une pièce d’identité. Faille vénielle.
L’histoire des formations politiques amène à se demander si elles sont capables d’organiser loyalement, dans la durée, des élections. Un passé récent témoigne du contraire, qu’il s’agisse des accusations réciproques de fraude lancées par François Fillon et Jean-François Copé lorsqu’ils étaient en concurrence pour la direction de l’UMP, à droite ; ou des propos analogues échangés entre Martine Aubry et Ségolène Royal en lutte pour le poste de premier secrétaire du PS. Ce n’est pas nouveau, et les exemples de manipulations de votes constituent une litanie au sein de laquelle émergent la désignation de Jacques Chirac à la tête du RPR et celle d’Alain Savary au poste de premier secrétaire du PS. N’évoquons que pour mémoire les normes d’un parti communiste sous le règne du « centralisme démocratique », et la gestion boutiquière du Front national par la famille Le Pen.
Au niveau d’un scrutin présidentiel, la concentration des médias et l’attention de l’opinion rendent les manipulations délicates à réaliser. Encore que la manière dont les dirigeants du PS, Cambadélis en tête, ont sélectionné les candidats admis à leur primaire est pour le moins obscure. Au dernier moment, ils ont récusé des postulants issus du Mouvement républicain et citoyen, ainsi que Pierre Larrouturou de Nouvelle Donne. En précisant que, si Emmanuel Macron voulait s’aligner, une exception serait faite pour lui. Autant dire que le choix des candidats s’effectuait à la tête du client. Admettons que les cafouillages ayant entouré le niveau de la participation au premier tour de la primaire du PS résultaient de maladresses et d’une organisation précipitée plutôt que d’une tentative mal maîtrisée de gonfler le résultat, les conséquences n’en ont pas moins été désastreuses en termes d’image.
Comme ce mode de désignation s’est généralisé aux scrutins territoriaux, les tentations et possibilités de tripatouillages vont être permanentes. Les obscures tractations au sein des appareils politiques sont une chose, une autre est de mêler les électeurs, c’est-à-dire le peuple, à des embrouilles dégradantes.