176 – Sous influence

Être candidat à une candidature signifie devoir faire campagne mais être dépourvu, par nature, de l’appui d’une structure partisane. C’est-à-dire se trouver vulnérable et donc une proie idéale pour les groupes de pression. #RescapesdelEspece

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Robert Ménard et son épouse Emmanuelle Duverger (photo Midi Libre)

              Des candidats isolés, dotés d’un entourage capable d’élaborer un programme mais manquant de réseaux militants pour occuper le terrain, constituent des cibles idéales pour les groupes de pression. Déjà, certains d’entre eux avaient tenté d’exploiter le scrutin présidentiel lui-même, comme par exemple les chasseurs en présentant un candidat en 2002 et 2007 sous le label Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT). Seulement, le coût est élevé, l’effort de mobilisation démesuré, et les obstacles aux candidatures n’ont cessé d’être revus à la hausse par les gouvernants. Cibler des primaires est davantage à leur portée.

         Le ralliement, dès août 2016, du groupe Sens commun à François Fillon est emblématique. À l’époque, l’ancien Premier ministre était seul, comme il s’est plu à le rappeler par la suite. Disposer d’un réseau constituait une aubaine. Même si le roi n’est pas redevable des dettes du dauphin, ses alliés de la première heure entendaient percevoir les fruits de leur mobilisation précoce. Le choix effectué par un groupe issu des combats contre le mariage pour tous l’a été au grand dam du candidat du parti chrétien-démocrate, Jean-Frédéric Poisson, a priori plus proche idéologiquement. Seulement, le courant catholique intégriste, après avoir flirté un temps, pour certains des siens, avec le Front national et Marion Maréchal en particulier, avait compris que, pour être efficace, mieux valait soutenir un postulant en passe de gagner plutôt que de se ranger derrière une candidature de témoignage.

              La démarche n’avait pas été unanime. Civitas, par exemple, rassemble ceux qui, au jeu de la famille Le Pen, préfèrent Marion à Marine. C’est au sein de cette mouvance que se déplace la nouvelle députée de l’Hérault, Emmanuelle Duverger, proche également de l’Opus Dei. Elle est aussi la quatrième épouse de Robert Ménard. Le couple des Ménardier, comme on dit en ville. Quand je pense qu’à l’aube de sa vie d’adulte le maire de Béziers envisageait de devenir prêtre ! Il n’en demeure pas moins un héraut institutionnel de la « fidélité » et, pour combattre la campagne officielle de prévention du VIH, il n’avait pas hésité à placarder dans Béziers des affiches de substitution, en reprenant une esthétique digne de photos glamour de mariage, représentant un couple hétérosexuel enlacé avec le slogan : « S’aimer, se donner, tout donner. L’amour ça se protège #fidélité. » En signature, la devise nationale était détournée en « Liberté, égalité, fidélité ». L’ancien animateur de Reporters sans frontières en connaît un rayon question fake news.

              Lors de son troisième mariage, ce divorcé avait fait appel à un dominicain gauchisant voire gauchiste, Jean Cardonnel, le chantre français de la théologie de la libération. Son nouvel engagement matrimonial l’aura ramené dans le giron du catholicisme le plus intégriste. On doit à cette union l’installation d’une crèche dans le hall de l’hôtel de ville à Noël et une messe dans les arènes[1]. Elle l’aura aussi libéré intellectuellement, puisque Robert Ménard admet : « Ma femme m’a apporté quelque chose : je n’ai plus honte de ce que je pense. »

              Depuis juin 2016, Civitas a suivi la voie tracée par Sens commun et s’est constitué en parti politique. Il est demeuré fidèle non seulement au Front national « canal historique » mais au « Menhir » qu’il avait convié comme orateur lors de sa première « Fête du pays réel[2] ». L’occasion pour Jean-Marie Le Pen de rejouer les tubes de sa longue carrière, du « détail de l’histoire » à la « déferlante africaine » devant submerger l’Europe. Face à une salle pour laquelle Marine Le Pen est « trop socialiste », il était inutile de justifier la présence du vieux chef de file de l’extrême droite. À la tête des Comités Jeanne, mis sur pied dans la foulée de son exclusion du FN à l’été 2015, le président d’honneur du parti frontiste a rassemblé ses amis de Civitas et d’autres groupes similaires, comme par exemple le Parti de la France, au sein de l’association l’Union des patriotes. Sous cette étiquette, ils ont présenté des candidats lors des élections législatives de 2017, y compris – pour ne pas écrire surtout – face à des candidats du Front national officiel version Marine.

              Le président de Civitas, Alain Escada, militant de l’extrême droite belge et partisan d’une rechristianisation de l’Europe, ne cache pas la déception que lui inspire la présidente du FN : « Elle n’a cessé de donner des gages au système et elle a accepté d’être phagocytée dans le néo-FN par le lobby LGBT, sioniste et franc-maçon. » Le pédé et le Juif une fois de plus réunis, une fois de plus stigmatisés. Sur les bases d’une analyse aussi radicale, il pouvait sans complexe réclamer l’abrogation de la loi de séparation des Églises et de l’État, l’annulation rétroactive du mariage pour tous, l’interdiction de l’avortement, le remplacement du droit du sol par celui du sang, la sortie de l’Union européenne… Bref, le retour à « la France des terroirs et des clochers, de la moralité, du patriotisme et de la préférence nationale ».

              Tel est le niveau d’incandescence auquel le monde catholique, dans ses secteurs les plus activistes, s’est trouvé porté par la loi Taubira. Les propos des porte-parole de la Manif pour tous au soir du premier tour de la primaire de la droite et du centre en ont été l’illustration. « Nous observons depuis plusieurs mois un vif intérêt pour la primaire », avait commenté Ludovine de La Rochère, leur présidente, confirmant la mobilisation de ses réseaux pour peser sur le choix du candidat. Sur Twitter, le message de Sens commun, bras armé politique de ce courant militant, était plus explicite : « Nous saluons avec joie la qualification de François Fillon au second tour de la primaire, illustration de sa droiture, cohérence et dignité. » Le dernier terme constituait une référence explicite à ce besoin de retrouver un style qui corresponde, aux yeux du pays, à la fonction.

              Face à la stature coincée mais digne d’un catholique de l’Ouest, le remuant cosmopolite Sarkozy – perception renforcée par son mariage avec Carla Bruni – ne pouvait incarner un « peuple de droite » en manque de repères. L’hyperprésident qu’il avait mis en scène durant son mandat, comme son contraire, le président normal incarné par François Hollande, n’ont correspondu ni l’un ni l’autre à l’image que les Français, de droite comme de gauche, se font de leur chef d’État.

          À trop dévaluer la fonction en la privatisant, c’est-à-dire en se montrant incapable de s’élever jusqu’à elle et en la rabaissant à leur niveau, les deux derniers Présidents ont provoqué un raidissement populaire. Dès lors, leurs échecs étaient inévitables, quelles que soient les évolutions des courbes du chômage ou de la croissance économique. C’est en ce sens que le corps électoral est demeuré plus attaché aux institutions de la Ve république que ne le sont les formations politiques. Les grenouilles ont demandé un roi. Reste à savoir si ce sera un soliveau ou une grue.


Notes :

[1] En 2017, afin de contourner la décision de novembre 2016, prise par le Conseil d’État, jugeant les crèches illégales dans des bâtiments publics, Robert Ménard et son clone des Républicains Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ont pour le premier ajouté le Père Noël à la Nativité afin de donner un caractère « festif » à l’installation, pour le second présenté cinq crèches sous prétexte d’un hommage aux métiers d’art, en l’occurrence celui des santonniers. Ou comment des élus de la République montrent que la loi peut être bafouée.

[2] À Rungis (Val-de-Marne) le 11 mars 2017.

 

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