Depuis la Révolution et jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’affrontement politique a vu s’opposer, en France, un courant monarchiste et catholique et un courant républicain et laïc. Ne pensez pas, rescapés de l’espèce, que ces temps soient révolus. Un peu de sens commun vous amènerait à réviser cette position. #RescapesdelEspece
Les dirigeants de Sens commun avaient précédé les évêques en refusant de choisir pour le second tour du scrutin présidentiel. Ils avaient créé une équivalence entre les deux postulants en lice. « Le Pen ou Macron, c’est le choix entre le chaos et le pourrissement », lançait sur Twitter, aussitôt connus les résultats du premier tour, le président du mouvement. Cette égalité proclamée entre les deux candidats était en trompe l’œil puisqu’elle ouvrait la voie, en cas de participation active au scrutin, à un possible vote en faveur de Marine Le Pen. Frigide Barjot et Jean-Frédéric Poisson, le candidat du parti chrétien démocrate lors du premier tour, se sont engouffrés dans la brèche et n’ont pas voulu, à leur tour, donner de consigne pour le second tour de scrutin.
La présidente de cette formation, Christine Boutin, est allée plus loin en appelant un chat, un chat. Elle a préconisé un « vote révolutionnaire » afin d’affaiblir Macron. « Le vote révolutionnaire est le vote paradoxal qui a pour objectif d’affaiblir celui qui est considéré comme étant de son camp ! », avait-elle expliqué dès le lundi 24 avril sur Twitter. Même rejet farouche d’Emmanuel Macron chez Ludovine de La Rochère : « Voter Macron, c’est voter pour la poursuite de ce qu’a fait François Hollande en termes de déconstruction de la famille. » Jamais, lors des précédents scrutins, la Manif pour tous n’avait donné de consignes. Même en laissant ouverte la possibilité d’un vote blanc, elle se prononçait implicitement en faveur de Marine Le Pen, dont le programme était voisin sur bien des points, y compris les questions de procréation, des positions défendues par le catholicisme réactionnaire.
Dans le débat autour du mariage gay, la présidente du Front national s’était rapprochée de Sens commun, plus au nom d’une logique électorale que par conviction. Au départ, en 2013, elle s’était tenue à l’écart, suivant la ligne préconisée par Florian Philippot. Dans le même temps, sa nièce Marion Maréchal — qui acceptait encore d’accoler Le Pen à son patronyme — et son compagnon Louis Aliot défilaient avec la Manif pour tous. La fracture n’est pas allée jusqu’à l’affrontement, en dépit des piques lancées par la nièce à sa tante et réciproquement. Surnommé « Loulou la purge » en 2005, lorsqu’il tenait le secrétariat général du Front et poussait vers la sortie les éléments les plus radicaux du mouvement afin de faire place nette pour Marine, Aliot n’a pas cédé à ceux qui l’incitaient à incarner une « aile droite » face au « gauchiste » Philippot.
De ces précaires équilibres sont sorties, à l’occasion de l’élection présidentielle, les réponses à un questionnaire adressé par une soixante d’associations regroupées sous le label inter-LGBT. Marine Le Pen avait précisé, si elle devenait présidente de la République, vouloir abroger la loi Taubira et lui substituer un « pacs amélioré » — les homosexuels n’auraient plus la possibilité de se marier en France —, sans prétendre pour autant annuler les unions déjà célébrées. Un casse-tête juridique sur lequel le Conseil constitutionnel aurait eu son mot à dire. Pour que nul ne puisse douter d’où venait cette inflexion, Marion Maréchal s’était empressée de mettre les points sur les i : « Ça ne sera pas une priorité, mais c’est une promesse qui sera tenue. (…) Je m’en porterai garante d’ailleurs[1]. » L’ordre moral catholique est en ordre de bataille.
En matière de droits, les minoritaires ne peuvent se penser à l’abri des institutions. Les rouages de l’État les ont condamnés dans le passé, affirment les protéger aujourd’hui, peuvent modifier leur position demain. Seule la conviction d’une large majorité de citoyens, seule une évolution des mentalités, seule l’extinction progressive de l’esprit sodomite selon son acception biblique, ouvrira à l’étranger, au différent, une véritable place dans la société, sur un pied d’égalité. Les élus ne sont pas fiables. L’itinéraire de François Fillon sonne comme une forme de répétition et doit faire réfléchir aux échéances futures. Qu’adviendrait-il demain d’un président sélectionné puis élu dans pareil contexte ? Serait-il libre de ses mouvements ?
Derrière la Manif pour tous, se profilent de puissantes associations d’inspiration catholique, comme Alliance Vita, Familles de France et les associations familiales catholiques. Au demeurant, si le mouvement a essaimé à l’étranger, c’est surtout dans des pays de tradition catholique comme l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Croatie. Depuis les grandes manifestations de 2013, ce courant a élargi ses revendications en dévoilant sa volonté d’imposer, à la manière de ce qui est reproché à l’islam politique, une vision globale de la société et des normes qu’il faudrait respecter : refus du concept de genre, de toute forme d’homoparentalité, de la procréation médicalement assistée, de la gestation pour autrui.
Sans prétendre s’aventurer dans le dédale des groupes qui constituent la mouvance catholique identitaire[2], il est significatif de relever les nombreuses passerelles qu’ils offrent entre l’extrême droite et les Républicains. La plupart de ces cercles se sont développés à partir de la défense des chrétiens d’Orient. Une thématique dont François Fillon a usé d’abondance. On retrouve aux commandes des personnages qui, avant d’enfourcher ce combat idéologico-religieux, ont conduit une action politique dans le cadre de la droite parlementaire.
C’est le cas d’un ancien collaborateur de Laurent Wauquiez, Nicolas Diat, qui mène, en compagnie du cardinal Robert Sarah[3], le combat contre « l’idéologie du genre » et la liturgie contemporaine. L’exemple le plus notable est offert par Guillaume de Thieulloy qui a constitué un véritable groupe médiatique sur le Net. Ses ramifications débordent l’Hexagone, essaiment jusque dans la Russie orthodoxe. Ce docteur en sciences politiques avait, auparavant, été l’attaché parlementaire du président du groupe sénatorial de l’UMP, Jean-Claude Gaudin. Directeur d’un Observatoire de lutte contre la christianophobie, dont il a fait son fonds de commerce, Guillaume de Thieulloy alimente en informations sélectionnées des sites qui se chargent de la sauce idéologique. Tel est le cas pour Le Salon beige qui, au sein de cette nébuleuse, se montre particulièrement virulent. Les dénonciations répétées d’une « christianophobie » permettent de cultiver la peur en promettant aux chrétiens de France un sort comparable à celui de leurs homologues du Pakistan ou de Corée du Nord.
Affleure dans ces mises en garde contre de futurs pogroms visant les chrétiens la théorie du « grand remplacement » chère à Alain Soral. Elle était sous-jacente dans le best-seller de Philippe de Villiers[4] dénonçant une hypothétique transformation des églises désertées en mosquées. Une démarche relayée par la pétition en vue de « Sauver nos églises » lancée par Denis Tillinac dans Valeurs actuelles. On y trouve une stigmatisation de l’islam présenté comme un épouvantail, et du musulman vu comme envahisseur. Un processus qui a été reproduit par Philippe Val dans son manifeste contre un « nouvel antisémitisme[5] » avec des signataires communs aux deux textes, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy. Cette dernière démarche a été démontée avec pertinence, dans Slate, par Claude Askolovitch qui en a dénoncé, à juste titre, la « logique dévastatrice[6] ».
Comme l’ensemble du corps social, comme les diverses forces politiques, l’Église est gagnée par les thématiques de l’extrême droite. Elle connaît une dérive comparable, bien que non similaire, à ce que nous observons en Pologne. Un contexte de crise des vocations l’a contrainte à faire venir le tiers de ses prêtres de l’étranger, d’Afrique et d’Asie en particulier. Ce qui, dans les paroisses, ne se passe pas toujours au mieux avec le dernier carré des fidèles. Le seul foyer de dynamisme qui demeure au sein de l’Église de France est constitué par le courant traditionaliste. Il s’était rassemblé derrière Mgr Lefebvre en refusant les réformes liturgiques décidées par le concile Vatican II et demeure fidèle au rite romain instauré par Pie V et amendé par Pie X. Témoignant de sa frilosité sur ce sujet, Benoît XVI avait autorisé ce type de célébration. Résultat, en dix ans le nombre d’églises qui se réclament de ce courant a doublé[7]. Oui, l’avenir du catholicisme français se situe dans ce que le chroniqueur Henri Tincq compare à « l’intransigeance » qui a qualifié le combat de l’Église au XIXe siècle.
Note :
[1] BFMTV, 30 avril 2017.
[2] Pour plus de détails, voir La Grande Peur des catholiques de France, Henri Tincq, Grasset, 2018.
[3] Ils sont coauteurs de Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Fayard, 2015.
[4] Les cloches sonneront-elles encore demain ?, Albin Michel, 2016.
[5] Le Nouvel Antisémitisme en France, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Philippe Val, Michel Gad Wolkowicz, Boualem Sansal, Jean-Pierre Winter, Georges Bensoussan…, préface Élisabeth de Fontenay, Albin Michel, 2018.
[6] https://www.slate.fr/story/160777/manifeste-contre-nouvel-antisemitisme-logie-devastatrice?amp
[7] Elles sont passées de 124 à 230 selon Jean-Marie Guénois, Le Figaro, 8-9 juillet 2017.