Chacun dans son style, les principaux candidats de la dernière élection présidentielle se sont sentis obligés de produire leur bulletin de baptême et de mettre en exergue leur ancrage chrétien, et plus précisément catholique. N’est-ce pas le signe du retour du religieux dans la vie publique ? #RescapesdelEspece

Le projet de Sens commun confirme sa proximité avec les thèmes du Front national. On peut relever la suppression du droit du sol et le renforcement des procédures de regroupement familial ainsi que des conditions d’acquisition de la nationalité française. Pour intégrer ce joli monde, le lever des couleurs dans les établissements éducatifs semble un minimum. Sens commun ambitionne aussi de sortir de l’espace Schengen et de « rétablir sine die le contrôle aux frontières nationales ». L’objectif consiste à « rétablir la primauté du droit national » et à revenir sur les compétences de l’Union européenne afin de conserver le contrôle de la politique familiale et des questions bioéthiques, donc des formes de procréation autorisées.
L’obsession de ces militants catholiques à vouloir se glisser dans les couches pour observer ce qui se fornique ne cesse de m’ébahir. Le moteur de leur démarche demeure la reconnaissance constitutionnelle d’une définition du mariage qui en fasse « l’union d’un homme et d’une femme incluant la présomption de paternité ». Ils souhaitent « réserver l’adoption aux couples homme-femme » et « fermer la porte à la PMA[1] pour les célibataires et les couples de même sexe et à la GPA[2] sur le sol français ».
Sens commun se situe dans le centre de gravité d’un catholicisme militant, héritier des combats d’hier contre la séparation des Églises et de l’État, puis de la laïcité scolaire telle qu’elle a été mise en œuvre par la gauche radicale et ses héritiers. D’où la revendication que « l’enseignement libre » ne puisse être remis en cause et que la « liberté pédagogique des établissements hors contrat » soit garantie. Pour assurer la prise en compte de ce programme, le mouvement s’est lié aux Républicains, y compris par des accords financiers.
Je ne suis pas seul à m’inquiéter de ce retour d’un national-catholicisme. Mon ancien condisciple de l’École supérieure de journalisme de Lille, Henri Tincq, passé par La Croix avant de prendre en charge la rubrique religieuse du Monde, s’afflige lui aussi. Pur produit de cette démocratie chrétienne qui, souvent en alliance avec la social-démocratie, a jeté les bases de la construction européenne, il confesse son désarroi. « Si je peine à me reconnaître dans l’Église de France aujourd’hui, écrit-il[3], c’est parce qu’elle me semble avoir renoncé à une part essentielle de son histoire, de son humanité, de sa tradition sociale, progressiste, oecuménique, missionnaire, celle qui, pendant des siècles, fit l’admiration de Rome et de tout le monde catholique. » Toutefois, il demeure fidèle à la monarchie ecclésiale et il s’accroche, comme à une bouée de secours, à la fiction d’un pape « progressiste » qui serait à même de renverser la tendance.
En dépit du recul constant de la pratique religieuse, les principaux candidats à l’élection présidentielle ont estimé nécessaire de lancer un signal vers cette tradition catholique à laquelle ils tenaient à être liés d’une manière ou d’une autre. De l’ancien enfant de chœur Mélenchon servant la messe en latin au converti Macron baptisé dans sa douzième année en passant par Hamon, l’ancien élève des pères maristes, chacun y est allé de sa génuflexion. Rompant avec la tradition républicaine, Fillon n’a pas hésité à surenchérir en déclarant[4] : « Je suis gaulliste et chrétien, cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne, de la solidarité. »
Se revendiquer de sa foi pour justifier son engagement politique a suscité une levée de boucliers. Le socialiste Vincent Peillon : « Nous avons construit la paix française et notre modèle sur le fait que des hommes politiques comme lui et moi ne mélangent pas leurs convictions privées à l’action publique. Je suis indigné » ; le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan : « Ce n’est pas digne parce que la foi, c’est personnel » ; le centriste François Bayrou : « C’est un péché d’orgueil parce que utiliser sa foi à des fins politiciennes, je ne suis pas sûr que ce soit très chrétien ». Ce à quoi François Fillon s’était hasardé à répondre depuis Las Vegas[4] : « La sincérité sera la marque de mon message politique. Moi, je suis comme je suis, je suis transparent. Je ne cherche pas à me cacher, je ne cherche pas à dissimuler les choses et je pense que c’est comme ça qu’il faut faire de la politique. » L’accablante preuve de ce mensonge supplémentaire n’allait plus tarder à débouler dans sa campagne. Catholique sans doute, et tartuffe jusqu’à son dernier souffle de candidat.
L’ancien conseiller de Sarkozy, Patrick Buisson, a pu ironiser sur cet engagement. « Le christianisme postule le refus de la domination absolue du monde marchand, la malédiction biblique des idoles, que Marx recyclera en se faisant le contempteur du “fétichisme de la marchandise”, a-t-il remarqué[5]. À cette aune, Mélenchon est plus chrétien que Fillon. Plus chrétien de ce point de vue, parce que plus marxiste. » Plus sérieusement, c’est le biais introduit par la sélection des candidats au travers des primaires que le politologue pointe du doigt. « Le problème de la droite, c’est de renouer l’alliance victorieuse des forces conservatrices et de l’électorat populaire, analysait-il. Celle qui fut à l’origine du succès du RPF en 1947, du triomphe gaulliste en 1958 et de l’élection de Sarkozy en 2007. Or, la primaire de la droite a enfermé Fillon dans une base sociologique très restreinte. Jadis, Malraux pouvait dire du gaullisme que c’était le métro à l’heure de pointe. Aujourd’hui, le fillonisme, ce n’est guère plus que le Rotary à l’heure de l’apéritif. Ce retour à un ghetto électoral tend à montrer que le sarkozysme n’aura été qu’une brève parenthèse dans l’histoire du déclin de la droite. »
Le caractère parcellaire du corps électoral mobilisé par les primaires organisées par les partis, la tendance à dégager une majorité en s’appuyant sur les thématiques les plus ancrées au cœur de ces électorats partisans, la fragilité de candidats dépourvus d’appareil et de forces militantes, tout concourt à la réussite d’opérations de récupération comme celle qu’une frange très peu libérale, au regard de la théologie et des mœurs, du catholicisme a réalisée derrière l’un des principaux chefs de file des Républicains. Le succès de cette captation est d’autant plus notable que, simultanément, son principal concurrent était accusé, par des militants évoluant dans des sphères proches, d’être un agent de l’islam.
Sans vouloir développer un discours complotiste, qui ne serait qu’un élément de la réalité post-vérité, cette simultanéité, le mouvement de balancier qui en résulte, prennent en otage un large pan de l’électorat. Les démocraties occidentales, sous des formes variables selon les latitudes, sont parvenues à trouver un équilibre, toujours fragile et délicat, entre le religieux et la raison. La post-vérité contemporaine menace de le ruiner. En effet, comme le rappelle toujours Pascal Engel : « Plus les individus réagissent avec leurs affects, plus ils sont manipulables. Même si la croyance et l’émotion ont toujours fait partie de la nature humaine, il faut résister à cette omniprésence des affects, cela pourrait être un dangereux retour en arrière. »
De manière plus large, le chimérique espoir de retour vers un monde ayant disparu à jamais est un facteur majeur de paralysie d’une politique gouvernementale. Il interdit l’action, la projection vers demain. Cette nostalgie handicapante s’exprime sous diverses formes et traverse l’ensemble des courants politiques. La peur devant la fuite du temps et l’inconnu qui s’ouvre devant nous ramène à Jankélévitch. Face à notre résistance à l’irréversibilité, il s’est attaché à illustrer que c’est par l’écoulement du temps que s’offrent de multiples possibilités de liberté. Encore faut-il s’ouvrir à l’idée du futur et consentir avec espoir et joie à l’avenir.
Notes :
[1] Procréation médicalement assistée.
[2] Gestation pour autrui.
[3] La Grande Peur des catholiques de France, Grasset, 2018.
[3] Au 20 Heures de TF1, 3 janvier 2017.
[4] BFMTV, 6 janvier 2017.
[5] L’Express, 31 janvier 2017.