J’ai bien conscience que post après post je suis en train de hérisser le poil de mon public de base au lieu de le caresser dans le bon sens. Encore une inversion coupable. À ma décharge, je dirai que tendre des verges constitue un exercice sexuel comme un autre. #RescapesdelEspece
Cette fois, j’entends les quolibets méprisants des militants de « la cause », sur le thème : ces vieux pédés frileux n’ont jamais vraiment quitté leur placard ni admis notre visibilité, ce sont les mêmes qui s’offusquent du caractère provocant au spectacle d’une gay pride… Erreur, jeunes gens. J’évoque une impression personnelle, en effet parfaitement subjective, mais je traite d’autre chose.
De Gaulle à Londres était entouré de maurrassiens, comme Pétain à Vichy l’était par des socialistes venus de la SFIO. C’est la France libre qui a permis au Général de découvrir qu’il n’existe pas de « peuple de gauche » ou de « peuple de droite ». Le seul peuple qui importe est le peuple français. Il penche tantôt à gauche, tantôt à droite et varie selon les sujets et ses humeurs. Les ouvriers qui votent pour le Front national agissent pour des motifs comparables à ceux de leurs parents qui votaient pour le parti communiste.
La France n’est ni monarchiste ni républicaine, elle est les deux à la fois. « En même temps », pour reprendre le nouveau mantra. Elle est en même temps l’héritière de la tradition séculaire d’un pouvoir divin, si chère à François Mitterrand, et l’enfant de la révolution de 1789 qui magnifie le peuple et condamne les héritiers. Une Révolution transfigurée, au même titre que le mythe de Jeanne d’Arc, par Jules Michelet, l’un des pères du « roman national ». La question du mariage entre personnes de même sexe, donc du statut de la famille et de la place de l’enfant c’est-à-dire de la transmission, s’inscrit dans cette contradictoire histoire millénaire. Ce n’est pas une simple mesure conjoncturelle.
Il ne s’agit pas de revenir sur des choix personnels par rapport à l’homosexualité : proclamer ou taire, afficher ou ignorer. Ce couple de Montpellier, pour rester sur cet exemple, était et demeure libre de ses comportements, libre d’utiliser son mariage comme étendard d’un combat politique. Là n’est pas la question. Ce que j’essaye d’aborder, c’est le rôle que la puissance publique doit adopter par rapport aux diverses composantes de la société. On ne gouverne pas pour l’un contre l’autre. Pour la France des clochers contre celle du commerce extérieur, pour les ruraux contre les urbains, pour les gays contre les hétéros. Les gouvernants doivent écouter et respecter. Ils ne sont pas là pour verser du sel sur les plaies. Quand il convient de trancher, ils doivent avoir la main ferme mais savoir cautériser.
Depuis que les socialistes, dépourvus de vision d’avenir et de projet global, se bornent à courir derrière les soubresauts de la société en croyant la guider, ils ont rompu ce lien avec le peuple perçu dans son ensemble. J’ai déjà pris l’exemple de l’immigré pour illustrer cet abandon du prolo au bénéfice du pédé. L’humoriste Yassine Belattar, qui travaille avec la présidence de la République — il a été nommé au conseil présidentiel des villes — et le gouvernement sur la question des banlieues, ne dit pas autre chose quand il reproche aux socialistes la vacuité des politiques « de la ville » mises en place les unes après les autres. Maghrébins et Africains ont été considérés comme des clientèles électorales acquises qu’il était donc inutile de choyer. Ouvrir des guichets d’aide sociale a paru suffisant, ce qui revenait à ignorer la soif d’entreprendre de ces populations. Et Yassine Belattar, dans le bras de fer qui l’oppose à Manuel Valls[1], n’a pas tort de dire que l’ancien Premier ministre est « l’un des hommes qui a le plus brisé le vivre-ensemble ces dernières années ».
En privilégiant des clientèles plus familières à leur mode de vie, les dirigeants socialistes se sont laissé manipuler par des groupes de pression. Parmi ceux-ci, le lobby gay n’est pas le plus discret. J’emploie un terme dont a usé le pape François pour se plaindre d’une influence, liée à des orientations sexuelles, qui s’exercerait sur la vie vaticane. Une situation qui justifierait son refus réitéré d’accueillir des homosexuels au sein de la prêtrise. Cet ukase papal ne suffira pas à gommer la perception du clergé au sein des populations :
« Si tant de prélats mitrés
Successeurs du bon saint Pierre,
Au paradis sont entrés
Par Sodome et par Cythère,
Des clefs s’ils ont un trousseau,
C’est la faute à Rousseau ;
S’ils entrent par derrière,
C’est la faute à Voltaire. »
L’infâme, le sodomite, l’homosexuel, le pédé, bref le réprouvé d’hier a pignon sur rue depuis qu’il a opté pour une américanisation de son identité collective. Cette mutation du statut social a généré une floraison de notables qui se sont octroyé un monopole de la parole. Ils se montrent d’autant plus vigilants dans la défense des droits, la célébration de la mémoire des victimes et la parité dans la diversité que leur rang social personnel, leur accès à la sphère officielle et leur audience médiatique dépendent du degré d’indignation dont ils témoignent.
William Marx, dans Un Savoir gai[2], s’est attaché avec finesse à décrypter ce qui diffère dans la perception du monde selon que l’individu est hétéro ou homosexuel. Une divergence d’angle de vue que, même avec la meilleure bonne volonté, ni les uns ni les autres ne peuvent surmonter puisqu’elle découle d’une sensibilité intime, d’émotions fugaces, de perceptions non conceptualisées. Il consacre un développement à la défense d’un mariage pour tous qui ne semble pas constituer son choix de vie privilégié. Il plaide pour cette option au nom du droit des gays de s’embourgeoiser, de se couler dans la norme sociale traditionnelle. Il cite, à ce propos, l’ancien Premier ministre britannique, David Cameron, qui s’était montré favorable à cette forme de mariage « non pas bien qu’il fût conservateur, mais parce qu’il l’était[3]. » Puis il développe un parallèle entre cette forme d’union et l’IVG. « Alors que l’avortement constitue dans l’échelle des valeurs officielle de l’Église catholique un acte infiniment plus grave que l’union de deux hommes ou de deux femmes, écrit-il, pourquoi cette même Église ne mobilisa-t-elle pas en quarante ans contre la loi autorisant l’avortement en France le dixième des foules qu’elle déplaça en quelques mois contre le mariage pour tous ? » Parce que William Marx, comme les militants de « la cause », font en réalité abstraction du champ politique. Du rapport des forces.
Lorsqu’en décembre 1967 la loi Neuwirth autorise la contraception en dépit des protestations de l’Église catholique, c’est la droite qui est au pouvoir, et l’ombre tutélaire du général de Gaulle plane sur le pays. Toutefois, le problème social posé par une règle qui est contournée ou refusée par une part croissante de la population féminine contraint le pouvoir politique à lâcher du lest en dépit de ce que peut en dire son allié idéologique religieux. Il s’agit d’un arbitrage qui s’effectue au sein des forces conservatrices. De même avec la loi de janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil. Cette dépénalisation de l’avortement a été entérinée, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, par un compromis interne à la droite et pour répondre à une pression sensible au sein de l’électorat féminin. Rien de comparable avec le projet gouvernemental concernant un service public de l’éducation en 1984, et le mariage pour tous durant le mandat de François Hollande. Dans ces deux cas, c’est au contraire l’occasion pour l’ensemble des courants de la droite de faire front commun en bénéficiant, qui plus est, des réseaux de l’Église.
Ces deux projets ne bénéficiaient pas d’une large adhésion populaire. Dans le cas du mariage pour tous, cette situation n’est qu’une conséquence du fait qui a fondé la démarche de William Marx lorsqu’il a rédigé son ouvrage. La caractéristique essentielle de l’homosexuel est qu’il est minoritaire. Très minoritaire. Et sans perspective de pouvoir modifier cette situation. Non seulement il ne peut espérer trouver refuge dans une communauté au sein de laquelle il pourrait se fondre, comme un Noir ou un Juif par exemple, mais il doit découvrir seul un code social compatible avec sa sexualité. Personne ne l’y a préparé. En conséquence, ses revendications sont structurellement minoritaires dans toute société.
Si elles ne sont pas socialement dominantes, les femmes sont en revanche majoritaires. Lorsqu’elles portent en masse une exigence, il n’est pas possible de feindre d’ignorer. La politique n’est pas réductible à l’arithmétique, mais celle-ci pèse sur l’issue des scrutins donc sur les positions que prennent les responsables. La revendication du mariage était accueillie plus par fatalisme que par conviction profonde par de larges secteurs de l’opinion. Elle exprimait son soutien à un principe bien plus qu’à une réalité sociale. Même au sein de la mouvance homosexuelle, la dimension bourgeoise de l’institution défrisait. Le mariage ne quittait pas l’ordre symbolique, au contraire de la contraception puis de l’avortement. L’institutionnalisation n’aurait pu aboutir sans troubles que si une forme d’indifférence sociale l’avait emporté. Si un compromis global avait été trouvé. Une sorte de feu clignotant à défaut de feu vert.
Gouverner consiste à trouver un équilibre acceptable par tous entre des intérêts divergents. Gouverner revient à arbitrer entre des droits contradictoires, antagonistes parfois, comme le sont ceux des cyclistes et des automobilistes lorsqu’ils doivent se partager le même espace. Avec ce premier mariage, comme durant la confrontation partisane qui l’avait précédé, nous étions dans l’appropriation symbolique au lieu de demeurer dans la gestion juridique. Jouer du symbole pour l’abrogation de la peine de mort ne prête pas à conséquence puisqu’il ne s’agit, en réalité, que de cela. La mesure en elle-même ne concerne pas directement les citoyens. Elle ne s’applique qu’à quelques très rares individus. Les effets de manche sont possibles et même de rigueur. Robert Badinter était l’homme de la situation.
Rien de comparable avec le concept de mariage, qui appartient à l’ensemble de la population. Comme il est, malheureusement, de tradition sur la terre de France, avec la loi nous basculions dans un affrontement idéologique au lieu de trouver des solutions opérationnelles à des problèmes concrets. Face à la nouvelle « intransigeance » de l’Église, en relayant le combat symbolique des groupes homosexuels institutionnels les socialistes poussaient à la polarisation aux extrêmes. Ce faisant, ils sapaient les bases de leur position centrale et perdaient leur capacité de négociation. Ils contribuaient à creuser leur tombe.
De fait, l’option retenue a débouché sur un conflit majeur. Il a mobilisé le monde catholique, hiérarchie épiscopale et papauté en tête, et contribué à déstabiliser la majorité politique. Les racines de la percée initiale de François Fillon ne sont pas à chercher au-delà. En écho à la cavalcade parisienne de Coluche et Le Luron trente ans auparavant, cette nouvelle exploitation du mariage par une des franges militantes du monde gay me mettait mal à l’aise car elle prenait l’État en otage. Elle résonnait, pour le reste du corps social, comme le cri de victoire du groupe des vainqueurs.
Se polariser sur les insultes homophobes, inexcusables, ayant retenti lors de manifestations hostiles au changement législatif revient à chercher une justification a posteriori en demeurant sur l’écume des événements[4]. Vouloir imposer un changement des références, hier éducatives, aujourd’hui familiales, est inévitablement vécu comme un coup de force. Il ancre ceux qui ne partagent pas ces choix dans un sentiment d’échec et de négation de leurs propres références. Des gays ne devraient-ils pas être les premiers à comprendre la souffrance qui peut en résulter ? Ils savent mieux que d’autres ce que le poids des dominants peut représenter pour le dominé.
En ce sens, même légitime dans son ambition, la loi Taubira est un échec politique dans la mesure où elle a fait passer la victoire symbolique avant l’ancrage social des nouveaux équilibres juridiques. Et Benoît Hamon, au-delà des nuances apportées dans son analyse de la Manif pour tous, a prouvé qu’il n’avait ni compris ni mesuré l’ampleur du choc de société lorsqu’il a laissé entendre qu’il pourrait faire de Christiane Taubira une Première ministre.
Les résistances sociales demeurent importantes. Les Bermudes ont été le premier pays à revenir sur le mariage entre personnes de même sexe. L’actuelle composition du gouvernement italien, l’homophobie affichée par le ministre de la Famille, témoignent de la fragilité relative de cette mutation face aux aléas des péripéties électorales. Certes, en France, le Conseil constitutionnel ferait probablement obstacle à toute velléité de retour en arrière. En outre, la justice européenne a entériné le fait qu’un mariage acté dans un des Etats de l’Union était valable dans l’ensemble de l’espace européen, indépendamment des législations nationales. Une situation qui se retrouve aux Etats-Unis où la Cour suprême a officialisé ce type d’unions, même lorsque le couple se déplace dans un Etat qui ne la reconnait pas.
Lionel Jospin, à qui j’ai reproché le mensonge fondateur concernant son engagement au sein de la social-démocratie, avait fait montre de lucidité lorsqu’il s’était dissocié de la position de la direction du PS sur cette question du mariage pour tous[5]. Il percevait, avec retard, les conséquences de la conversion du parti socialiste au communautarisme porté par les fondateurs de SOS Racisme, évolution qu’il avait permise. Il revendiquait « la liberté de débattre vraiment » et s’inquiétait, à juste titre, de voir « s’esquisser une nouvelle tentation bien-pensante, voire une crainte de l’imputation homophobe, qui pourraient empêcher de mener honnêtement la discussion » au sein de la gauche. « Le débat doit pouvoir se dérouler sans intimidation ni rappel à un ordre moral quel qu’il soit », poursuivait-il en défendant une vision très restrictive sur le fond du dossier et, pour le dire clairement, conservatrice en matière de filiation. Des positions qui avaient été défendues par son épouse, Sylviane Agacinski[6], et qui l’amenèrent à s’opposer au mariage entre personnes de même sexe. Il n’empêche que, lorsque l’ancien Premier ministre rappelait à propos du mariage « le sens et l’importance des institutions », il mettait le doigt sur un problème réel. « On peut respecter la préférence amoureuse de chacun, sans automatiquement institutionnaliser les mœurs », concluait-il.
Quelle est la question qui est posée aux gouvernants ? Organiser notre vie commune en trouvant les compromis qui permettent à chacun de voir ses droits reconnus sans rompre le consensus, sans pousser aux affrontements. Ce qui est également contenu dans la remarque de Marcel Gauchet concernant une gauche qui a perdu « l’idée même de société ». Le « mariage pour tous » est une conséquence de cette myopie. Il s’inscrit dans la droite ligne de l’égoïsme jouisseur de la « génération Mitterrand », de la « gauche morale ». Il s’agit du pacte conclu dans l’entre-soi bobo d’une bourgeoisie citadine oublieuse des réalités sociales. Derrière ce slogan, trop de débats n’ont pas été portés devant le pays et intégrés dans une discussion démocratique. Ce n’est pas le principe d’une union entre personnes de même sexe qui pose problème, mais les divers statuts qui peuvent en résulter pour les enfants. On le voit avec l’ambition affichée par François Fillon et une large partie des Républicains de revenir sur l’adoption plénière par les couples de même sexe.
Ce type d’adoption supprime le lien de filiation entre l’adopté et sa famille d’origine en lui substituant un nouveau lien de filiation avec l’adoptant, tandis que l’adoption simple laisse coexister les deux liens de filiation. Il s’agissait pour le candidat de la droite de satisfaire, a minima, l’une des revendications des associations familiales catholiques en affirmant le droit de l’enfant à connaître ses origines, ses parents biologiques. Le cas toujours mis en avant est celui d’un couple composé de deux hommes et dont les enfants auraient le droit de connaître l’identité de la femme qui les a portés et mis au monde. Le droit de l’enfant, expliquent les partisans de cette limitation, doit primer sur les intérêts (implicitement égoïstes) des hommes qui se le sont attaché. Car, derrière cette défense du droit de l’enfant, chemine de manière souterraine une suspicion sur le couple de personnes de même sexe, en particulier d’hommes. Dans un couple de femmes, en effet, l’une est en principe mère porteuse.
Seulement, si ce droit à connaître ses géniteurs était admis, il signerait la disparition de l’accouchement sous X. Il ne s’agit pas, ici, de dire si cette modification est souhaitable ou non, mais de souligner qu’au détour de ce qui paraît n’être qu’une revendication ponctuelle, se trouvent remises en cause des normes juridiques très anciennes[7]. En effet, depuis la Révolution, une femme peut ne pas mentionner son nom sur l’acte de naissance de son enfant. Depuis les premières années du XXe siècle, les parents peuvent abandonner leur enfant de manière anonyme. Enfin, l’accouchement sous X offre à la parturiente la garantie que son identité sera tenue secrète par l’administration. Cette notion a été renforcée, en 1993, à la suite de l’essor des tests ADN, par l’interdiction d’engager des recherches en maternité, ce qui place la France à contre-courant de la norme juridique européenne. Remettre en cause cet édifice est possible, mais pas sans réflexions ni débats, et certainement pas par le biais de l’abrogation d’une mesure de la loi Taubira. Comme pour le mariage pour tous, il s’agit moins d’affirmer des principes que de concilier des droits contradictoires : celui des couples de même sexe, celui des enfants, celui des femmes. Ce qui est vrai face aux projets de détricotage du texte, l’était tout autant lors de son élaboration.
Notes :
[1] «C’est lui le toréador, moi je ne suis pas le taureau ! Il est tout seul ! Et il est hyper vexé (parce que) je lui ai dit – et je lui redis ici – (que) le plus Français de nous deux c’est moi ! Moi je suis né à Conflans-Sainte-Honorine et je n’ai connu que la France. Lui, il est arrivé ici à 18 ans, il ne savait même pas conjuguer le verbe “être”», a déclaré Belattar, le 19 mai 2018 dans l’émission Salut les Terriens sur C8. Une allusion à la jeunesse barcelonaise de Manuel Valls, né, en 1962, d’un père espagnol et d’une mère suisse, avant d’être naturalisé français en 1982.
[2] Éd. de Minuit, 2018.
[3] 5 octobre 2011.
[4] Un compte Twitter @AvisDefavorable, rassemble les tirades homophobes des députés lors des débats sur la loi Taubira. Ces vidéos sont extraites des archives de l’Assemblée nationale.
[5] Journal du Dimanche, 15 mai 2004.
[6] Cf. Politique des sexes, Seuil, 1998.
[7] Cf. Marcela Iacub, L’Empire du ventre : pour une autre histoire de la maternité, Fayard, 2004.