200 – Lettre

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Il convient d’évaluer ce que l’autre souhaite connaître et s’il est en situation de comprendre. À l’inverse, se pose aussi la capacité à s’exprimer de celui qui devrait dire. #RescapesdelEspece

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              Fort de ces précédents, j’attendais que Michel aborde le sujet pour dialoguer. Un jour, il a posé la question :
– Où allons-nous être enterrés ?

              À ses yeux, il était évident que nous reposerions côte à côte[1]. J’ai enclenché la maïeutique. Puisque nous avions choisi d’être incinérés, cette notion de tombe commune n’avait plus vraiment de signification. À bien y réfléchir, les seuls pour qui un lieu de recueillement pouvait avoir de l’importance étaient ses parents. Pour eux, en raison de l’absence de descendance, une véritable sépulture constituerait l’ultime trace. Ne serait-il pas mieux de prévoir un caveau commun ?

               J’anticipais à un point que je n’imaginais pas. La mère de Michel n’a pas voulu que soit gravée sur le marbre l’identité de chacun mais uniquement « Famille Faucher ». Michel n’était pas convaincu par mes arguments. L’idée de se retrouver aux côtés de ses parents était loin de l’enthousiasmer. Nous en sommes restés là. Le sujet n’a plus été évoqué. Un jour, après un déjeuner dans le pavillon familial, installés dans la voiture et prêts à reprendre la route pour Paris, il m’a dit :
– Et si nous allions voir à quoi ressemble le cimetière ?

À flanc de coteau, bordé par un bois, celui de Noailles a suscité l’enthousiasme de son futur occupant.
– Ce sera parfait ! C’est très accueillant.

Il souriait, sans le moindre soupçon d’ironie.

           Nous étions émus mais heureux. Nous avons parlé fleurs – blanches et jaunes uniquement  – et service religieux ou non. Il tenait à sa messe comme aux couleurs florales du Vatican. Il voulait maintenir le fil qui avait guidé ses années de formation dans des institutions catholiques. Il y en eut profusion le moment venu. Je me suis borné à planter un pied de bruyère devant le caveau.

« J’ai cueilli ce brin de bruyère
   L’automne est morte souviens-t’en
   Nous ne nous verrons plus sur terre
   Odeur du temps brin de bruyère
   Et souviens-toi que je t’attends[2]. »

              D’autres promenades, à Paris cette fois, furent nécessaires pour qu’il arrête son choix concernant le futur office. Il s’était porté sur Saint-Jacques du Haut-Pas, première halte des fidèles après leur départ de Notre-Dame en direction de Compostelle. L’actuelle rue Saint-Jacques n’est que la survivance de l’ancienne route des pèlerinages. Lorsque les obsèques ont été célébrées, j’ai pu apprécier combien le choix de Michel avait été prémonitoire. Il suffisait de regarder l’officiant se mouvoir et surtout le grand adolescent sportif aux longs cheveux bruns qui lui servait d’enfant de chœur. Il aurait parfaitement pu correspondre aux fantasmes du défunt. Mon esprit infirme a le plus grand mal à se concentrer sur les gestuelles religieuses.

            Quand, pour lui aussi, les signes de dégradation sont devenus tels qu’il lui a fallu répondre à l’anxiété croissante de ses parents, Michel rentrait de l’Oise, déjeuner après déjeuner, en me narrant les questions qu’il subissait et son incapacité à formuler la réponse idoine. Je le voyais ruminer le sujet, s’angoisser. Il n’avait nul besoin de cette épreuve supplémentaire. Alors, j’ai fait pour lui ce qu’il avait fait pour moi à l’École militaire.

            Un jour, « mother man » a pris sa plume pour écrire à Rosette. Elle devait venir faire des courses à Paris et avait programmé un déjeuner à proximité de la gare de l’Est avec son fils. Je lui ai expliqué de quoi Miguel était mort, ce qu’était le VIH, la situation de Michel et la nécessité de lui permettre de se libérer du poids d’un non-dit qui ne faisait qu’ajouter à ses angoisses. De retour de ce déjeuner, Michel m’a annoncé rayonnant : « Ça y est, je le lui ai dit ! » Je l’ai félicité. Plus tard, Rosette m’a souvent reparlé de cette lettre. Elle l’avait lue plusieurs fois avant de la détruire de crainte que son époux ne la découvre. « Ça l’aurait tué », disait-elle.


 Notes :

[1] Dans l’esprit du propos de Ruth Ozeki cité en ouverture du post 197, Immortalité, je lui étais redevable de ce récit afin que nous soyons côte à côte.

[2] Guillaume Apollinaire, « L’Adieu », Alcools.

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