223 – Culte des morts

Técla me promenait, à Marmande, dans le « jardin des fleurs », puisqu’il paraît que c’est ainsi que je nommais le vieux cimetière de la ville. Il m’en est resté un goût pour ces lieux apaisés. #RescapesdelEspece

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Tombe de Georges Rodenbach au Père-Lachaise

              Même si le culte des morts n’est plus de mise dans nos cultures, il suffit d’arpenter certains cimetières pour devoir nuancer le propos. J’ai éprouvé une véritable fascination pour le si vaniteux cimetière du Retiro, au centre de Buenos Aires, où généraux, présidents et archevêques, tous cousins, rivalisent dans l’étalage de cercueils dont les bronzes sont astiqués par les dévoués serviteurs familiaux. Les chats y sont redevenus à moitié sauvages et se jettent griffes en avant, avec un râle de colère, s’ils se sentent menacés. Nous y avons souvent erré quand, avec Miguel et Michel, nous sommes revenus en touristes après le rétablissement de la démocratie.

            J’avais été interpellé, au-delà des fumées noires et de l’âcre odeur des carburants insuffisamment raffinés, par les fêtes foraines trop propres, les cireurs de chaussures trop polis, comme un héritage d’une trop longue dictature. Seul le piétinement des pelouses du centre-ville semblait témoigner du triomphe des libertés. J’avais laissé errer mon regard sur la juvénilité de ces foules latines qui, le short en plus, évoquaient ces groupes de beurs venus de leurs banlieues pour traîner, désœuvrés, dans Paris et qu’il m’arrivait de croiser sur les grands boulevards ou les Champs-Élysées. À Buenos Aires, leur tenue révélait des cuisses d’hommes chez des adolescents hybrides, au visage encore immature mais où la puberté, déjà, avait éteint l’éclat de l’enfance.

              Comme pour le cimetière argentin, son homologue parisien du Père-Lachaise témoigne d’une société. S’il semble appartenir à des temps révolus, ce besoin d’affirmer une réussite sociale jusque dans la tombe s’y retrouve, vivace. Au-delà des grilles rouillées et des pierres lépreuses, la fatuité sociale a laissé des traces grandioses que font visiter des guides à l’œil égrillard, même lorsqu’ils affectent une mine contrite. Ils sont ravis de marquer une pause devant le caveau de la famille Lapipe afin de placer leur vanne téléphonée. Ils recommenceront au columbarium, devant la plaque de la famille Malcuit. Ils traînent dans leur sillage des grappes de femmes vieillies, ne sachant trop pourquoi elles sont venues déambuler dans ce labyrinthe. Ces tombeaux évoquent plus le musée que l’état présent d’une société française qui n’en a pas moins conservé son hypocrite façade de suffisance.

              Pour s’en convaincre, rien de mieux qu’un arrêt dans l’allée du Dragon, à proximité du monument élevé pour Cambacérès. Le signe distinctif des sept plumes ducales conviendrait aussi bien à Zizi Jeanmaire ou à Michou et ses travestis. Arrachées du cul des autruches, elles demeurent l’un des symboles majeurs de Paris. Le cul et la plume, un couple inséparable. À mes yeux, elles évoquent moins les titres nobiliaires du défunt ou son statut de chef suprême de la franc-maçonnerie, que ses célèbres « après-soupers » en compagnie de jeunes hommes. « Tante Urlurette », comme l’avaient surnommé ses contemporains, a permis à Talleyrand un mot exquis durant le Consulat. Évoquant les trois consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, il les avait désignés en latin « hic, haec, hoc », c’est-à-dire « celui-ci, celle-ci et cela ». Quand j’y pense, je trouve chez François Hollande un côté Charles-François Lebrun.

              Parfois, au fil de la promenade historico-littéraire, une restauration surprend, comme pour la sobre tombe de Raymond Radiguet rénovée grâce à un généreux admirateur anonyme. Ou une innovation sculpturale, comme le torse dénudé émergeant du tombeau du poète symboliste belge Georges Rodenbach, dont on dit qu’il aurait pu être l’un des modèles du Swann de Marcel Proust.

 

 

 

 

 

 

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