Devenu président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, versatile dans ses engagements partisans mais farouchement accroché à son perchoir, avait dénoncé l’absentéisme de députés multirécidivistes dans cette défaillance. Une des plaies du parlementarisme français. Avec la gestion opaque des finances qu’ils s’attribuent. J’avais naguère suggéré d’inscrire dans la Constitution que les élus ne puissent à aucun titre s’exonérer des impôts qu’ils votent. #RescapesdelEspece

Comme l’a noté Frédéric Lordon[1], en faisant allusion à l’élimination de Lionel Jospin lors du premier tour de l’élection présidentielle : « Dès le 21 avril 2002, l’alarme aurait dû être généralisée. Mais ce système qui enseigne à tous la constante obligation de “changer” est lui d’une immobilité granitique – tout est dit ou presque quand Libération, l’organe du moderne intransitif, fait chroniquer Alain Duhamel depuis cent ans. » Comment pourrais-je ne pas être en accord ?
Dans ce contexte, l’objectif des élus est simple : durer, durer encore, cumuler, accumuler, amasser, jouir, profiter, saisir d’une main sans lâcher de l’autre. Le Penelopegate a fait émerger la part enfouie de l’iceberg.
Cette rapacité tente de se justifier par une meilleure connaissance du terrain et une défense plus efficace des électeurs. Pour ces mêmes motifs et avec une touchante ferveur, ils se mobilisent contre la limitation des mandats en nombre comme dans la durée. Certes, ils ne siègent pas dans l’ensemble des structures où ils ont été désignés, mais ce n’est qu’un épiphénomène. S’ils se battent avec une telle passion pour maintenir le millefeuille administratif français et ses strates parasites, ce n’est pas afin de conserver l’inflation actuelle des élus et de leurs indemnités. C’est au nom de l’intérêt général.
Qui oserait en douter ? Bien qu’ils soient, affirment-ils à l’unisson, d’ardents démocrates, si les édiles s’opposent, à travers l’Association des maires de France, à l’intégration des intercommunalités, ce n’est pas pour sauver leurs mairies. Qu’il en résulte que ces structures soient présidées par des responsables qui échappent à la désignation par le suffrage universel direct ne paraît guère les préoccuper.
De même, ce n’est que par esprit de sacrifice, dans le noble but de servir la République, que des dignitaires socialistes comme Arnaud Montebourg ou Vincent Peillon ont abandonné leurs activités professionnelles pour revenir dans l’univers partisan concourir dans une primaire. Des années durant, ils ont omis de verser à la formation politique au nom de laquelle ils s’expriment, qui est à l’origine de leur réussite, qui a fait d’eux des ministres, les cotisations dont ils étaient redevables comme élus. Un travers qui n’est pas propre aux socialistes mais se constate dans l’ensemble des formations politiques. La restitution d’une fraction des indemnités est toujours problématique.
Il est vrai qu’avant eux, un autre ministre socialiste, Christian Nucci, avait payé ses cotisations avec de l’argent public détourné. De quoi cette défaillance d’anciennes « excellences » devant leurs obligations financières témoigne-t-elle ? De leur manque d’intérêt pour les questions d’argent, ou de leur cupidité, voire de cette « phobie administrative » qui avait frappé leur collègue Thomas Thévenoud ?
À droite, on sait se montrer plus méticuleux, à la manière d’un François Fillon dont l’épouse a changé de statut en fonction des évolutions législatives, ce qui illustre combien la pratique de thésaurisation familiale était perçue, dès l’origine, comme non présentable à l’opinion. Et il ne fallait pas compter sur le vieil adversaire Jean-François Copé pour y mettre le holà. Lui aussi a embauché son épouse. Comme ce symbole autoproclamé du renouveau, Bruno Le Maire. Il en va de même pour le flingueur Éric Ciotti, pour l’ancien président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, et au Front national pour Gilbert Collard et pour Marine Le Pen avec son concubin.
Lorsque au lendemain d’un échec ils annoncent leur départ avec solennité, à la manière d’un Lionel Jospin ou d’un Nicolas Sarkozy, ils ne résistent que quelques mois. Éliminé du second tour de l’élection présidentielle en 2002, Lionel Jospin proclame le soir même son retrait de la vie politique. Quatre ans plus tard, il effectue son retour en août à l’université d’été des socialistes avant de déclarer, en septembre 2006, alors que le PS prépare la primaire qui doit désigner son candidat, être « capable d’assumer la charge de chef de l’État ». André Siegfried n’a jamais été dupe, lui qui écrivait : « En politique, seuls savent s’arrêter ceux qui ne seraient pas partis[2]. »
Le soir de la renonciation de Hollande à briguer un second mandat présidentiel, en s’effaçant devant Valls, Daniel Cohn-Bendit s’était extasié[3] : « Un président normal, qui sait s’arrêter. (…) Il va entrer dans l’Histoire par son humilité. » Il me paraît confondre normal et vaincu, humble et faible. Lorsque le Président Johnson avait, lui aussi, renoncé à solliciter un nouveau mandat, au prétexte qu’il devait demeurer mobilisé par la conduite de la guerre au Vietnam, il ne faisait qu’acter l’échec d’une aventure militaire et, partant, le rejet dont il était devenu l’objet. Ceux qui ne repartent pas pour un nouveau tour de manège, à la manière de François Hollande, n’agissent pas par vertu mais sous la contrainte. Ils préfèrent échapper à la sanction populaire. Et au ridicule d’une probable élimination de la primaire, même si, dit-on, il ne tue plus.
On peut avoir un autre regard et adopter le point de vue optimiste d’Arnaud Benedetti. Il analyse cette renonciation comme le signe d’un changement d’âge, la fin d’une théorie de la communication élaborée par Edward Bernays, un neveu de Freud, qui infantilisait les opinions et donnait à penser qu’elles étaient manipulables à volonté, avec pour objectif de « fabriquer du consensus ». Ce consensus contre lequel Chantal Mouffe, la théoricienne du populisme de gauche[4], est partie en guerre. « C’est cette fabrique aujourd’hui qui est entrée en crise, estime le professeur associé de Paris IV-Sorbonne. Ainsi 2016 sonne peut-être le glas des préceptes de M. Bernays et du logiciel communicant de ses héritiers qui partout, de Paris à Washington, de Londres à Rome pensent détenir la clef des nations. Cette défaite de la communication, d’une certaine forme de communication à tout le moins, annoncerait surtout le retour des peuples et d’une histoire “de nouveau en marche”[5]. »
Donc l’histoire ne serait pas finie, contrairement à ce que nous avait claironné Francis Fukuyama[6] à l’aube des années 1990. Acceptons-en l’augure. Reste à savoir si la marche qui a été reprise ressemble à celle des chœurs d’opéra. Question immobilité, je persiste à maintenir Hollande dans la catégorie de ceux qui veulent durer, tant il avait émis de signaux témoignant de sa soif d’un nouveau mandat. Seulement, les faits sont têtus et il a dû se résigner en constatant l’humiliation qui l’attendait.
Cécile Duflot éliminée dès le premier tour de la primaire des Verts, Nicolas Sarkozy dès le premier tour de la primaire des Républicains, l’avenir de Hollande était inscrit. Pas seulement dans les astres. L’échec de Manuel Valls à la primaire du PS l’a prouvé. Près des deux tiers de l’électorat socialiste convaincu se reconnaissaient dans le discours des « frondeurs » et non dans celui de l’exécutif. Seules les formes que prendrait l’éviction du Président sortant demeuraient en suspens.
La règle consistant à s’accrocher à son poste connaît peu d’exceptions. Mitterrand comme Chirac sont demeurés dans leur fauteuil élyséen après des défaites législatives plus ou moins cinglantes. Siegfried n’aura pas vécu assez longtemps pour assister au départ du général de Gaulle, en 1969, après l’échec de son référendum sur les régions et la réforme du Sénat. Une haute assemblée qui, non sans raison, apparaît comme le confortable hospice des cadres de la vie politique, soit en fin de carrière, soit mis de côté par les décideurs pour faire de la place à leurs fringants alliés du jour.
L’exception du départ gaullien ne constitue pas un exemple à suivre, pour les responsables contemporains. Il confirme la crainte qui les dévore tous : arrêter équivaut à mourir. C’est ce qui est arrivé à de Gaulle, alors qu’il tuait le temps en faisant une réussite dans sa vieille demeure de Colombey-les-Deux-Églises. L’abondance de temps l’a tué. N’est-ce pas la preuve ? Ils préfèrent se cramponner, sur le modèle d’un Mitterrand choisissant de mentir pour rester, diminué, à l’Élysée. Comme l’avait fait avant lui Georges Pompidou. Ainsi ils continueront d’exister et parviendront à retarder l’heure inéluctable du trépas.
S’ils s’agrippent aux fonctions, c’est par crainte de l’isolement, de la solitude et de la mort. Ils ont besoin des griseries de la vie publique, des flonflons du bal, pour exister à leurs propres yeux. Arrêter d’être sur scène revient à cesser de lutter.
Combien de temps Nicolas Sarkozy, après son humiliation lors du premier tour de la primaire organisée par sa formation politique, va-t-il demeurer reclus cette fois-ci ? Va-t-il laisser sa rage intérieure le consumer ? La période d’hibernation est parfois assez longue pour faire illusion. L’ancien ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon avait disparu des radars pendant une paire d’années. On le croyait mobilisé par l’enseignement de la philosophie en Suisse, en occupant ses loisirs à écrire des romans. Il l’avait déclaré en avril 2016 : « Je ne briguerai pas de nouveau mandat électif. » À une exception près, huit mois plus tard : la présidence de la République !
Notes :
[1] Blog du 22 novembre 2016, op. cit.
[2] Quelques maximes, de l’Imprimerie de Jacques Haumont, 1946.
[3] L’Obs, 1er décembre 2016.
[4] Voir le post 69, Les populismes. https://blogaylavie.com/2017/12/07/69-les-populismes/
[5] Le Figaro, 9 décembre 2016.
[6] La Fin de l’histoire et le dernier homme, Champs Essai, Flammarion, 2009.