142 – La banane roumaine

Il n’est pas nécessaire de se rendre à Bananas Island pour déguster, en compagnie de Line Renaud et de Claude Sarraute, le fruit convoité par une armada de bonobos. #RescapesdelEspece

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De gauche à droite : Thierry Pfister et Claude Duval (D.R. photo service officiel roumain)

          À propos des relations complexes entre éditeurs et auteurs, j’ai risqué une comparaison avec la légende des pélicans qui nourriraient leurs petits de leurs entrailles. Une symbolique sans doute issue d’une observation superficielle de ces animaux mais qui se retrouve dans les motifs décoratifs chrétiens et maçonniques. Chez les chrétiens, le pélican devient le Christ offrant son corps en nourriture.

           Souvent, à San Francisco, je me suis assis sur un banc de l’ancienne zone portuaire afin d’observer leurs lents battements d’aile lorsqu’ils longent, en file, l’Embarcadero. En arrière plan the Rock, le rocher d’Alcatraz, tire son nom du terme espagnol alcatres qui désigne ces oiseaux.

              Cet intérêt pour le pélican m’est venu à la suite d’un séjour dans le delta du Danube dans les années 1970. Depuis, j’ai passé des heures à les contempler chaque fois que les hasards de mes déplacements m’amenaient à en côtoyer. Le service « tourisme » du Monde avait la délicate habitude de faire tourner dans la rédaction une partie des invitations qu’il recevait et j’avais été convié à un voyage en Roumanie. Après avoir passé une nuit spartiate dans la maison d’un pêcheur au cœur du delta, nous étions partis dans sa barque, à la rame, de nuit, afin d’être en place au lever du soleil. J’avais pu assister au premier envol des pélicans. L’article pseudo-poétique rédigé à mon retour sur la « danse des pélicans » (que j’ai évoquée à propos des dindes processionnant autour du cadavre d’un chat [1] ) avait suscité l’hilarité de mes camarades du service politique, plus habitués à me voir décortiquer les motions sibyllines des congrès socialistes.

           L’autre conséquence de cette publication fut l’attrait de l’ambassade de Roumanie pour ma petite personne. J’assistais à leurs assauts répétés avec un mélange d’ébahissement et d’amusement. Devais-je y voir une conséquence de ma participation à la table ronde sur « la sécurité européenne » organisée par Nicolae Ceausescu en juin 1969[2] ? Une pointe d’agacement se faisait jour et ne cessait de croître : me pensaient-ils assez stupide ou cupide pour mordre à l’hameçon ?

              La coupe a débordé lors d’un déjeuner dans un restaurant proche de leur ambassade, rue de l’Exposition dans le 7e arrondissement. Le conseiller qui me traitait me proposa de lui rédiger des synthèses sur la situation française, moyennant rétribution précisa-t-il aussitôt. J’exprimai mon refus sans masquer ma contrariété. Je n’étais pas au bout de mes peines. Au dessert, la « surprise du chef » me fut vivement recommandée. Je demandai de quoi il retournait et ne reçus en réponse que « mais ce ne serait plus une surprise ».

             Le chef en personne vint déposer devant moi une assiette sur laquelle trônaient deux boules de glace à la vanille maintenant une banane verticale. Du sommet du fruit dégoulinait une traînée de crème chantilly. Un sommet de l’élégance et du bon goût. Mon hôte était hilare. Je fulminais, mais je n’entendais pas lui offrir le spectacle de ma rage intérieure. J’ignore si ce n’était que du premier degré ou si, lassé par mon refus d’entrer dans leurs jeux, il avait voulu m’humilier. Quel qu’ait été leur but, face à tant de délicatesse les Roumains pouvaient oublier mon téléphone. Je ne répondrais plus.

               Quant à la banane, ce n’était ni la première ni la dernière que je prendrais en bouche. Lio pouvait célébrer le Banana split et Line Renaud et Claude Sarraute continuer à chanter Bananas Island[3].


Notes :

[1] Cf. le post 33, Busards des roseaux, https://blogaylavie.com/2017/11/06/33-busards-des-roseaux/

[2] Cf. Tu ne crois pas que tu exagères !, p. 327 et 328.

[3] Ces chansons sont disponibles sur https://www.facebook.com/pfisterthierry la page Facebook qui accompagne et illustre ce blog.

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De droite à gauche : Thierry Pfister et Michel Faucher (D.R. photo service officiel roumain)

 

 

 

 

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